"Quant à « catégories », il faut d’abord que je dise que c’est une notion très ancrée dans une certaine philosophie, en gros une pensée kantienne : la catégorie est autre chose que ce qu’elle catégorise, elle arrive de l’extérieur, généralement des sujets humains. Et s’il n’y avait pas la catégorie, il y aurait le désordre, la confusion, ou la continuité. Or catégoriser plus ou moins un continuum, ce n’est pas du tout le type d’intérêt que je poursuis. Si catégorie veut dire délimitation relativement tranchée de choses qui n’existeraient pas si cette catégorie n’était pas imposée, c’est un modèle que j’ai toujours combattu. [...] Mais le besoin de classification et de norme, d’ailleurs la notion même de « norme » ressort à un type de science sociale qui revient à découper un continuum. Hors je suis jamesien, deweyen, pragmatiste, donc c’est vraiment un type de paradigme qui ne m’intéresse pas. Je sais que la classification intéresse beaucoup les anthropologues qui reconnaissent aux autres la capacité de classer, mais ce qui leur évite de se poser la question des êtres. La classification a pris un sens central avec Durkheim et Mauss, dans les sciences sociales. Moi, c’est l’ontologie qui m’intéresse, ce n’est pas la représentation, pour le dire vite."

Fossier, A., & Gardella, É. (2006). Entretien avec Bruno Latour. Tracés. Revue de Sciences humaines, (10), 113-129.