2001 une odyssée de l'espace © Kubrick

#1 "ce que l'on appelle le social est matériellement hétérogène"

"Ce principe est à la fois évident et difficile à mettre en œuvre. Évident, car tout le monde sait que nos sociétés dépendent de technologies, de textes et de tout le reste. Mais leur prise en charge théorique est loin d’être aisée. En pratique, nous avons tendance à les mettre entre parenthèses ou à considérer que leur statut et leur nature sont différents de ceux des êtres humains. Ce sont des ressources ou des contraintes. Ces matériaux sont en quelque sorte passifs ; ils ne deviennent actifs que mobilisés par des acteurs en chair et en os. C’est précisément cette asymétrie qui est remise en cause par ce premier principe. Les distinctions entre conversations, textes, techniques, corps sont essentielles. Mais il n’existe aucune raison a priori pour en exclure certains de la participation à la dynamique du collectif : tous ces éléments, tous ces matériaux, contribuent à la création et à la transformation de l’ordre social."

#2 "les entités sont des réseaux de matériaux hétérogènes"

"Quand on suit un scientifique en action, ou encore la conception et la fabrication d'un énoncé scientifique ou d'un artefact technique, ce que l'on observe, c'est la multiplicité des éléments qu'ils associent et dont ils sont en quelque sorte le résumé. Nous avons appelé traduction ce processus de mise en relation. Les entités qui nous entourent, qu’elles soient des êtres humains, des objets ou des textes, sont des réalités composées parce qu’elles sont le résultat d’un processus de composition."

#3 "des entités à géométrie variable qui relancent l'action"

"Les entités qui composent les collectifs sont le résultat de mises en relation, d’associations de matériaux hétérogènes. Cela signifie que leur contenu ou leurs propriétés ne sont pas fixés une fois pour toutes, qu’ils ne sont pas donnés dans l’ordre des choses. L’identité des entités résulte des interactions en cours et évolue avec elles."

"La définition de ce qui est réalisable et de ce qui ne l’est pas se décide dans l’interaction. Il n’est pas possible, avant d’en avoir éprouvé le réalisme, de savoir comment les entités vont se comporter, et cela est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de science et de technique. "

"Dans la sociologie que nous proposons, lorsque nous disons que l’identité d’une entité se transforme, nous signifions que sa composition s’est modifiée, c’est-à-dire que le réseau dont elle est coextensive s’est transformé. Cela permet d’introduire dans l’analyse, et de manière active, tous ces non-humains sans lesquels nous serions semblables à nos frères babouins.
"

"Toute action, [...] pour s’accomplir, se prolonge dans des entités qu’elle met en forme [...] et qui à leur tour agissent, débordant – tout en la relayant – l’action initiale à laquelle elles ne sauraient être pourtant purement et simplement réduites."

#4 "des entités distribuées qui sont aussi des points"

"Une entité qui a réussi à acquérir ainsi une identité stabilisée, une enveloppe qui lui est propre, est une entité qui est en mesure de représenter le réseau des éléments qui l’ont constituée – nous disons : de traduire les différents matériaux dont elle est l’assemblage. Elle les ponctualise. Plus besoin de renégocier."

"Le réseau redevient apparent dès que les éléments qui le composent agissent de manière imprévisible."

"Pour découvrir cette double nature des entités, à la fois points et réseaux, il suffit de suivre le procès de leur configuration et de leur (éventuelle) stabilisation. Au lieu de considérer les entités comme des réalités séparées les unes des autres, éventuellement coordonnées par des règles ou des conventions, il faut les voir comme représentant des réseaux d’éléments hétérogènes, chaque élément étant à nouveau un réseau. Seul compte alors le processus historique de constitution des entités, c’est-à-dire la dynamique de leur ponctualisation et de leur déploiement."

#5 : "des collectifs actifs"

"Une des conséquences les plus contre-intuitives de l’analyse proposée est que non seulement les entités mais également les classes d’entités sont des effets ou des résultats. Des distinctions comme celles entre agents humains individuels, objets ou collectifs, ne sont pas inscrites dans l’ordre des choses."

"Chacune de ces variétés de collectifs devrait pouvoir être caractérisée par une configuration particulière. La capacité d’action stratégique, par exemple, ou plutôt ce que l’on peut appeler de manière plus générale la réflexivité, c’est-à-dire l’aptitude à caractériser une situation, à l’analyser et à agir sur elle, suppose des agencements de matériaux dans lesquels, comme l’a montré la sociologie des sciences, les textes, les inscriptions, les plans, bref tous les éléments à la fois malléables et capables de circuler, jouent un grand rôle."

#6 : "vers une sociologie des collectifs hybrides"

1•"Les non-humains ne peuvent être considérés comme de simples ressources ou contraintes.

2•"Cette participation des non-humains à l’action conduit à concevoir les entités comme des réseaux."

3•"La définition de l’entité comme un réseau associant des éléments humains et non humains – tous actifs – conduit à souligner la double dimension de l’action."

4•"Pour comprendre la dynamique de l’action ou de ce qu’il serait plus juste d’appeler les séquences d’actions, l’analyse proposée rétablit la nécessaire symétrie entre humains et non-humains."

Callon, M., Law, J., 1997. L’irruption des non-humains dans les sciences humaines: quelques leçons tirées de la sociologie des sciences et des techniques. Recherches 99–118.