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Keyword - théorie de l acteur réseau

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samedi 14 janvier 2017

étiqueter le loup


"la stabilisation de l’identité du loup n’est construite que chemin faisant" : c’est une infrastructure invisible qui équipe l’indice de présence (poils et fèces du loup). Cela lui permet de jouer un rôle d'objet-frontière dans la coordination des divers acteurs qui ont parfois des pratiques et des intérêts divergents


Granjou Céline et Mauz Isabelle , « Quand l'identité de l'objet-frontière se construit chemin faisant » Le cas de l'estimation de l'effectif de la population de loups en France, Revue d'anthropologie des connaissances, 2009/1 Vol. 3, n° 1, p. 29-49.


"Nous voyons ainsi que des objets intermédiaires peuvent devenir des objets-frontière notamment lorsqu’ils sont équipés, par exemple, de métadonnées, qui rendent possible la constitution d’une équivalence entre des mondes hétérogènes. Cet équipement matérialise dans l’interaction une infrastructure invisible faite de standards, de catégories et de conventions qui permet la circulation d’un monde à l’autre."[...]

"La notion d’équipement permet d’éviter de penser que les caractéristiques de médiation, de traduction, sont attachées à la seule nature de l’objet. Nous faisons l’hypothèse que le passage de l’objet intermédiaire à l’objet-frontière tient justement à ce travail d’équipement. Équipé, l’objet intermédiaire entre dans un espace suffisamment commun à plusieurs mondes sociaux. Dès lors, la structure minimale reconnaissable par les membres de différents mondes serait l’équipement dont l’objet est doté plus que l’objet lui-même. "

Vinck, D. (2009). De l'objet intermédiaire à l'objet-frontière. Revue d'anthropologie des connaissances, 3(1), 51-72.


"[L]es groupes sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la transgression constitue la déviance, en appliquant ces normes à certains individus et en les étiquetant comme des déviants".

Becker Howard, 1985. Outsiders. Études de sociologie de la déviance. Paris, Métaillé, 248.

"La “définition de la situation” - grande contribution de W.I. Thomas au vocabulaire et à la pensée sociologique - exige, par exemple, que nous comprenions la manière dont les acteurs voient la situation dans laquelle ils sont impliqués, et que nous découvrions comment ils définissent eux-même ce qui est en train de se passer, afin de comprendre ce qui entre en jeu dans la production de leur activité.

Becker, H. S. (2002). Les ficelles du métier: comment conduire sa recherche en sciences sociales. La découverte.

« Nous ne savons pas de quoi se compose le monde. Ce n'est pas une raison pour ne pas commencer. Car d'autres semblent le savoir et définissent constamment qui sont les acteurs qui les entourent, ce qu'ils veulent, ce qui les cause, ainsi que les moyens de les affaiblir ou de les associer. Les auteurs que nous allons étudier attribuent des causes, datent des évènements, dotent leurs entités de qualités, classent les acteurs. L'analyste n'a pas à en savoir plus qu'eux, il n'a qu'à commencer, en un point quelconque, par enregistrer sans être raisonnable ce chaque acteur dit des autres[...]
Il suffit qu’on ne sache pas quels sont les acteurs, qu’on les laisse s’entre-définir et qu’on suive comment chacun déplace la volonté des autres, en construisant des chaînes de traduction ».
 

Latour, B. (2001). Pasteur: guerre et paix des microbes; suivi de Irréductions. La découverte.

"Tout se passe comme si l'on disait aux acteurs :“Nous n'allons pas essayer de vous discipliner, de vous faire coller à nos catégories ; nous allons vous laisser déployer vos propres mondes ; ce n'est qu'ensuite que nous vous demanderons d'expliquer comment vous êtes arrivés à les établir.” Autrement dit, la tâche de définition et de mise en ordre du social doit être laissée aux acteurs eux-mêmes, au lieu d'être accaparée par l'enquêteur". 

"Un bon texte met au jour des réseaux d'acteurs lorsqu'il permet à celui qui l'écrit de tracer un ensemble de relations définies comme autant de traductions."

Latour, B. (2014). Changer de société, refaire de la sociologie. La découverte.
 


mardi 9 août 2016

le programme "faire paître le bétail" et sa traduction paysagère

dans la Vallée des Roses du massif du M'Goun marocain, aussi bien que sur le plateau tibétain du Sichuan, les buissons d'épineux permettent d'isoler les cultures qui sont pratiquées sur les colluvions, et de les protéger de l’appétit vorace des troupeaux nomades des alentours, qu'il s'agisse des chèvres au Maroc ou des yacks au Tibet.

bien que dans certains endroits, l'arbre fut au néolithique employé comme fourrage (Thiébault, 2005) il est vraisemblable que les prunelliers, aubépines et rosiers sauvages de nos haies furent à l'origine plantés afin de protéger les cultures des troupeaux alentours

selon Marguerie et al.(2003), de la fin du XVème à la première moitié du XIXème, la construction progressive du bocage a pour but de réguler le rapport cultures-élevage sous la pression de l'essor démographique (= parquer les animaux et protéger les espaces cultivés de la divagation des animaux).

si nous considérons le programme suivant "faire paître le bétail", différentes épreuves nécessitent de faire un pas de côté afin de contourner ces obstacles qui se présentent au fur et à mesure comme autant d'anti-programmes

à chaque détour, de nouveaux alliés biologiques, énergétiques, chimiques ou mécaniques sont sollicités

le berger conduit les troupeaux dans les herbages et évite les zones cultivées cependant qu'avec la croissance démographique une première innovation bocagère permet de clôturer les zones de cultures ; puis avec la venue de l'assolement, ce sont aussi les prairies qui se trouvent encloses par les haies

avec la révolution mécanique, l'agriculture intensive et l'arasement bocager, le berger électrique remplace l'humain, mais nécessite toujours le passage d'un faucheur pour empêcher les herbes de court-circuiter le courant et rendre ainsi le fil électrique inefficace

le faucheur se fatigue et trouve un allié dans le pulvérisateur de molécules chimiques qui élimine ces herbes indésirables

cependant, les poissons commencent à faire parler d'eux, et la baisse de leurs effectifs finit par prendre du poids dans la balance contre ces molécules : et donc, au moins sur les bordures des cours d'eau, ces molécules deviennent interdites

un support de fil avec déport est alors fixé sur le piquet afin de permettre de passer une faucheuse tractée

ces différentes innovations ou détours socio-techniques s'accumulent pour entrer dans la composition de nos paysages

schéma de la traduction d'après Latour (2010)


Latour Bruno, 2010. Cogitamus: Six lettres sur les humanités scientifiques.
Marguerie, D., Antoine, A., Thenail, C., Baudry, J., Bernard, V., Burel, F., ... & Guibal, F. (2003). Bocages armoricains et sociétés, genèse, évolution et interactions.
Thiébault, S. (2005). L’apport du fourrage d’arbre dans l’élevage depuis le Néolithique. Anthropozoologica, 40(1), 95-108.

vendredi 6 mai 2016

méthode et principes de la théorie de l'acteur réseau


Latour, B. (2005). La science en action: introduction à la sociologie des sciences. La Découverte/Poche.


Le point de vue théorique et méthodologique défendu peut être résumé en six affirmations :


1. il faut analyser la science et la technique en train de se faire, plutôt qu’une fois faites ;


2. ce qu’on découvre depuis cette perspective ce sont des stratégies d’acteurs : celles d’hommes de science et d’ingénieurs qui construisent des boîtes noires - faits scientifiques ou machines - donnant l’illusion d’exister comme réalités autonomes,    d’avoir une stabilité et de se répandre par elles-mêmes en vertu d’une sorte d’énergie interne ;


3. la construction de telles boîtes noires consiste en des opérations de liaison et d’assemblage, de constitution et de stabilisation de réseaux, d’affaiblissement et de renforcement des multiples associations dont ces réseaux sont faits ;
elle est sociale dans la mesure où elle instaure, conforte et stabilise des liens ;


4. la distinction qui est habituellement établie entre science et technique ne tient pas, car dans un cas comme dans l’autre on a fondamentalement affaire aux mêmes processus et aux mêmes opérations ; il s’agit d’un seul phénomène qu’on peut appeler "technoscience" ;


5. le lien social étant dans la machine, et vice versa, il n’y a plus lieu de maintenir la distinction habituelle entre l’objet technique et le monde social - ce ne sont là que deux fictions corrélatives - ni de concevoir l’innovation comme émergence et diffusion dans un milieu socioculturel, à consistance propre, de quelque chose qui serait en soi dépourvu de socialité et de culture ;


6. l’innovation n’est rien d’autre qu’un processus de construction de chaînes d’associations et d’organisation de réseaux stables par des machinations, par des opérations d’enrôlement et de contrôle qui masquent leur véritable nature de domination.


Quéré Louis. Les boîtes noires de Bruno Latour ou le lien social dans la machine. In: Réseaux, 1989, volume 7 n°36. pp. 95- 117.

dimanche 6 mars 2016

rhizome

intermédiaires circulant au sein de l'actant-rhizome ou acteur-réseau (Callon, 1991)

extrait de

Gilles Deleuze, Félix Guattari -
Mille plateaux: Capitalisme et schizophrénie, 2

mardi 9 juin 2015

objet technique

"les objets techniques ont un contenu politique au sens où ils constituent des éléments actifs d'organisation des relations des hommes entre eux et avec leur environnement. Les objets techniques définissent dans leur configuration une certaine partition du monde physique et social, attribuent des rôles à certains types d'acteurs - humains et non-humains - en excluent d'autres, autorisent certains modes de relation entre ces différents acteurs etc... de telle sorte qu'ils participent pleinement de la construction d'une culture, au sens anthropologique du terme, en même temps qu'ils deviennent des médiateurs obligés dans toutes les relations que nous entretenons avec le "réel".

[...] Le sociologue des techniques se trouve devant un objet qui, bien que clairement défini dans son aspect physique, n'en est pas moins curieusement insaisissable: les objets techniques se donnent d'emblée comme composites, hétérogènes; mi-chair, mi-poisson, on ne sait par quel bout les prendre. Ils renvoient toujours à une fin, une utilisation pour laquelle ils sont conçus, en même temps qu'ils ne sont qu'un terme intermédiaire sur une longue chaîne qui associe hommes, produits, outils, machines, monnaies...

[...] il suffit de considérer les objets les plus banaux qui nous entourent pour constater que leur forme est toujours le résultat d'une composition de forces dont la nature est des plus diverse. La résistance des matériaux qui sont utilisés pour la construction des voitures est en rapport avec la violence supposée des chocs qu'ils peuvent avoir à subir, lesquels chocs sont liés à la vitesse des véhicules, qui elle-même est le résultat d'un compromis complexe entre performances des moteurs, réglementation en vigueur, moyens mis en œuvre pour la faire respecter, valeur attribuée aux différents comportements individuels... En retour, l'état d'une carrosserie devient ce par quoi on (les experts des assurances, la police, les badauds etc) évalue la conformité d'un comportement à la norme dont elle est une matérialisation.

Nous voyons déjà sur ce petit exemple que l’objet technique est la mise en forme et la mesure d’un ensemble de relations entre des éléments tout à fait hétérogènes."

"[...] nous nous attacherons à mettre en évidence les mécanismes élémentaires d’ajustement réciproque de l’objet technique et de son environnement. Par la définition des caractéristiques de son objet, le concepteur avance un certain nombre d’hypothèses sur les éléments qui composent le monde dans lequel l’objet est destiné à s’insérer. Il propose un « script », un « scénario » qui se veut prédétermination des mises en scène que les utilisateurs sont appelés à imaginer à partir du dispositif technique et des prescriptions (notices, contrats, conseils...) qui l’accompagnent. Mais tant qu’il ne se présente pas d’acteurs pour incarner les rôles prévus par le concepteur (ou en inventer d’autres), son projet reste à l’état de chimère: seule la confrontation réalise ou ir-réalise l’objet technique.

Si ce sont les objets techniques qui nous intéressent et non les chimères, nous ne pouvons méthodologiquement nous contenter du seul point de vue du concepteur ou de celui de l’utilisateur : il nous faut sans arrêt effectuer l’aller-retour entre le concepteur et l’utilisateur, entre l’utilisateur-projet du concepteur et l’utilisateur réel, entre le monde inscrit dans l’objet et le monde décrit par son déplacement. Car dans ce jeu incessant de bascule, seuls les rapports nous sont accessibles: ce sont les réactions des utilisateurs qui donnent un contenu au projet du concepteur, de même que l’environnement réel de l’utilisateur est en partie spécifié par l’introduction d’un nouveau dispositif. C’est dans ce cadre que doit s’entendre le sens de la description que nous proposons, comme le recensement et l’analyse des mécanismes qui permettent cette mise en rapport entre une forme et un sens que (et qui) constitue l’objet technique."

"Le problème de la panne est assez intéressant à cet égard et mériterait qu’on s’y attarde : la panne renvoie précisément à la définition que nous avons donnée de l’objet technique puisqu’elle ne peut se comprendre qu’« en acte », comme rupture de ce rapport constitué par l’objet technique entre un dispositif matériel et un usage. Toute panne est donc une épreuve de la solidité de l’assemblage « socio-technique » matérialisé par l’objet technique, la rapidité avec la recherche des causes aboutit à un consensus donnant une mesure de cette solidité."

Akrich Madeleine, 1987. Comment décrire les objets techniques ? Techniques et Culture, 9, 49-64

"Comment un automatisme est-il vraiment automatique ? Si vous commencez à regarder les dispositifs dits automatiques, qu'il s'agisse d'un ordinateur, qu'il s'agisse d'une centrale nucléaire, ou qu'il s'agisse d'un robot ménager, en fait ils sont automatiques mais avec plein de gens autour ; et de nouveau c'est le nombre de gens, le nombre d'habitudes, le nombre de situations, le nombre de pannes, autour de ces objets qui nous intéresse."
Latour Bruno, 2011. cours Sciences Po

lundi 4 mai 2015

après la théorie de l'acteur réseau : vers une ontologie relationnelle

scirpes émergeant depuis leurs rhizomes qui colonisent la berge vaseuse d'un estuaire © Éric Collias

"La théorie de l'acteur-réseau est une application sans pitié de la sémiotique. Elle prétend que les entités prennent forme et acquièrent leurs attributs dans leurs relations avec d'autres entités. Dans ce modèle, les entités n'ont aucune qualités inhérentes : les divisions essentialistes sont jetées sur le bûcher du dualisme".

"La seconde histoire concerne la performativité. Parce que la sémiotique nous dit que les entités réalisent leur forme à partir des relations dans lesquelles elle sont situées. Mais cela signifie que cela nous dit aussi qu'elles sont performées au sein, par et à travers ces relations. Une conséquence est que tout est incertain et réversible, au moins en principe. Cela n'est jamais donné dans l'ordre des choses"

(Law, 1999)

fragment de clone de Scirpus maritimus (redessiné d’après Charpentier, 1998). 
Le Scirpe marin est une plante clonale de la famille des carex, connue pour
ses phases de bourgeonnement irrégulières. Le clone est composé d’un réseau
de tubercules  d’où émergent les ramets sexués des ramets végétatifs
(sans fleurs) et des tubercules (souterrains) nouveaux sans parties aériennes.(Collias, 2004)

"le mot réseau, ainsi que le terme rhizome de Deleuze et Guattari, signifie clairement une série de transformations -traductions, transductions- qui ne pourraient pas être capturées par aucun des termes traditionnels de la théorie sociale. Avec la récente popularisation du mot réseau, il signifie désormais un transport sans déformation, un accès instantané à chaque unité d'information. C'est exactement l'opposé de ce que nous avons voulu dire."

"peut-être le social possède-t-il la propriété bizarre d'être une entité circulante"

"ANT concentre l'attention sur un mouvement :

- quelque chose comme la somme des interactions de différentes sortes d'objets, d'inscriptions, formes, formules, au sein d'un lieu très petit, très local et très pratique. [...] Grand ne signifie pas réellement grand ou dominant ou surplombant, mais connecté, proche, local, médié, relié.

- l'actantialité n'est pas ce qu'un acteur effectue, mais ce que produisent les actants avec leurs actions, avec leur subjectivité, avec leur intentionnalité, avec leur moralité. [...] il n'y a rien de spécialement local, et rien de spécialement humain dans une rencontre intersubjective. J'ai proposé 'interobjectivité' comme mode d'énonciation de la nouvelle position de l'acteur.

- en suivant le mouvement tel que le permet l'ANT, nous ne sommes jamais conduits à étudier l'ordre social, dans un déplacement qui permettrait à un observateur de zoomer du global au local et du local au global.

- d'avoir transformé le social depuis ce qui était une surface, un territoire, en une circulation, fut je pense la contribution la plus utile de l'ANT."[...] si il n'y a pas de zoom allant de la macro structure aux micro interactions, si à la fois micro et macro sont des effets locaux de la manière de capturer des entités circulantes, si les contextes affluent dans des conduits étroits, cela signifie qu'il subsiste beaucoup d'espace entre les réseaux".

(Latour 1999)

système rhizomial de Scirpus maritimus élaboré durant une saison 
de croissance. En noir, le tubercule de la saison précédente avec un vestige de
rhizome (a). Tous les autres tubercules et rhizomes sont de la même saison
(Zákravsky & Hroudová 1994).

Au printemps, un tubercule âgé de la saison précédente et ayant hiverné bourgeonne
et forme de nouvelles chaînes de rhizomes d’où proviennent tiges et nouveaux tubercules.
Du début à la fin de la saison Cette croissance se déroule en quatre phases
(Dykyjova et al. 1972):
1- en début de saison, les ramets utilisent les réserves d'énergie stockées dans les
tubercules,
2- les parties souterraines poussent après que la croissance des ramets soient bien
réalisée,
3- les organes de reproduction se forment quand la biomasse aérienne est maximale,
4- les substances organiques sont transportées dans les parties souterraines au moment
de la sénescence.
A la fin de l’été, la partie aérienne des tiges meurt, alors que les tubercules et les
rhizomes persistent plusieurs années dans le sol (Charpentier 1998).
"réseau peut faire référence aussi bien au maillage d'un filet qu'au tissage, au chemin d'une dentelle, au plexus du système nerveux, ou de la toile de l'araignée. Les lignes de la toile d'araignée, par exemple, à la différence des réseaux de communication, ne connectent pas des points ni ne relient les choses. Ils sont davantage filés à partir de matériaux exsudés du corps de l'araignée et déposés avec le déplacement de l'animal. Dans ce sens ils sont des extensions de l'être véritable de l'araignée alors que celle-ci chemine dans l'environnement."
(Ingold, 2010)

"nous avons affaire ici à un élément important de la pensée Iatmul. Ces indigènes conçoivent leur communauté, non pas comme un système clos, mais comme une souche qui se ramifie et prolifère indéfiniment. Un clan grossit  et se subdivise : un village grossit et établit des colonies. L'idée d'une communauté close est sans doute incompatible avec la représentation de la communauté comme quelque chose qui se divise continuellement et évacue sa progéniture 'comme le rhizome d'un lotus'."
(Bateson, 1971)

Bateson, G., 1971. La cérémonie du Naven, trad. fr.

Charpentier A., 1998. Biologie des populations d'une espèce clonale : Architecture et fonctionnement clonal chez Scirpus maritimus dans les marais temporaires méditerranéens du sud de la France. Thèse, Montpellier.

Collias,E.,2004. Cartographie de la végétation halophile et diagnostic littoral de la rade et des estuaires du Pays de Lorient. Cap l'Orient, rapport.

Dykyjova, D., P. J. Ondok, and D. Hradecka. 1972. Growth rate and development of the root/shoot ratio in reed swamp macrophytes grown in winter hydroponic cultures. Folia Geobotanica et Phytotaxonomica 7, 259-268.

Ingold, T., 2010. Bringing things to life: Creative entanglements in a world of materials. ESRC National Centre for Research Methods, NCRM Working Paper Series 1–15.

Latour, B., 1999. On recalling ANT. The Sociological Review 47, 15–25.

Law, J., 1999. After ANT: complexity, naming and topology. The Sociological Review 47, 1–14.

Zákravsky P., Hroudová Z. 1994. The effect of submergence on tuber production and dormancy in two subspecies of Bolboschoenus maritimus. - Folia Geobot. Phytotax., Praha 29: 217-226.

jeudi 30 avril 2015

éléments pour une sociologie de la traduction

irruption des non-humains dans les sciences humaines

2001 une odyssée de l'espace © Kubrick

#1 "ce que l'on appelle le social est matériellement hétérogène"

"Ce principe est à la fois évident et difficile à mettre en œuvre. Évident, car tout le monde sait que nos sociétés dépendent de technologies, de textes et de tout le reste. Mais leur prise en charge théorique est loin d’être aisée. En pratique, nous avons tendance à les mettre entre parenthèses ou à considérer que leur statut et leur nature sont différents de ceux des êtres humains. Ce sont des ressources ou des contraintes. Ces matériaux sont en quelque sorte passifs ; ils ne deviennent actifs que mobilisés par des acteurs en chair et en os. C’est précisément cette asymétrie qui est remise en cause par ce premier principe. Les distinctions entre conversations, textes, techniques, corps sont essentielles. Mais il n’existe aucune raison a priori pour en exclure certains de la participation à la dynamique du collectif : tous ces éléments, tous ces matériaux, contribuent à la création et à la transformation de l’ordre social."

#2 "les entités sont des réseaux de matériaux hétérogènes"

"Quand on suit un scientifique en action, ou encore la conception et la fabrication d'un énoncé scientifique ou d'un artefact technique, ce que l'on observe, c'est la multiplicité des éléments qu'ils associent et dont ils sont en quelque sorte le résumé. Nous avons appelé traduction ce processus de mise en relation. Les entités qui nous entourent, qu’elles soient des êtres humains, des objets ou des textes, sont des réalités composées parce qu’elles sont le résultat d’un processus de composition."

#3 "des entités à géométrie variable qui relancent l'action"

"Les entités qui composent les collectifs sont le résultat de mises en relation, d’associations de matériaux hétérogènes. Cela signifie que leur contenu ou leurs propriétés ne sont pas fixés une fois pour toutes, qu’ils ne sont pas donnés dans l’ordre des choses. L’identité des entités résulte des interactions en cours et évolue avec elles."

"La définition de ce qui est réalisable et de ce qui ne l’est pas se décide dans l’interaction. Il n’est pas possible, avant d’en avoir éprouvé le réalisme, de savoir comment les entités vont se comporter, et cela est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de science et de technique. "

"Dans la sociologie que nous proposons, lorsque nous disons que l’identité d’une entité se transforme, nous signifions que sa composition s’est modifiée, c’est-à-dire que le réseau dont elle est coextensive s’est transformé. Cela permet d’introduire dans l’analyse, et de manière active, tous ces non-humains sans lesquels nous serions semblables à nos frères babouins.
"

"Toute action, [...] pour s’accomplir, se prolonge dans des entités qu’elle met en forme [...] et qui à leur tour agissent, débordant – tout en la relayant – l’action initiale à laquelle elles ne sauraient être pourtant purement et simplement réduites."

#4 "des entités distribuées qui sont aussi des points"

"Une entité qui a réussi à acquérir ainsi une identité stabilisée, une enveloppe qui lui est propre, est une entité qui est en mesure de représenter le réseau des éléments qui l’ont constituée – nous disons : de traduire les différents matériaux dont elle est l’assemblage. Elle les ponctualise. Plus besoin de renégocier."

"Le réseau redevient apparent dès que les éléments qui le composent agissent de manière imprévisible."

"Pour découvrir cette double nature des entités, à la fois points et réseaux, il suffit de suivre le procès de leur configuration et de leur (éventuelle) stabilisation. Au lieu de considérer les entités comme des réalités séparées les unes des autres, éventuellement coordonnées par des règles ou des conventions, il faut les voir comme représentant des réseaux d’éléments hétérogènes, chaque élément étant à nouveau un réseau. Seul compte alors le processus historique de constitution des entités, c’est-à-dire la dynamique de leur ponctualisation et de leur déploiement."

#5 : "des collectifs actifs"

"Une des conséquences les plus contre-intuitives de l’analyse proposée est que non seulement les entités mais également les classes d’entités sont des effets ou des résultats. Des distinctions comme celles entre agents humains individuels, objets ou collectifs, ne sont pas inscrites dans l’ordre des choses."

"Chacune de ces variétés de collectifs devrait pouvoir être caractérisée par une configuration particulière. La capacité d’action stratégique, par exemple, ou plutôt ce que l’on peut appeler de manière plus générale la réflexivité, c’est-à-dire l’aptitude à caractériser une situation, à l’analyser et à agir sur elle, suppose des agencements de matériaux dans lesquels, comme l’a montré la sociologie des sciences, les textes, les inscriptions, les plans, bref tous les éléments à la fois malléables et capables de circuler, jouent un grand rôle."

#6 : "vers une sociologie des collectifs hybrides"

1•"Les non-humains ne peuvent être considérés comme de simples ressources ou contraintes.

2•"Cette participation des non-humains à l’action conduit à concevoir les entités comme des réseaux."

3•"La définition de l’entité comme un réseau associant des éléments humains et non humains – tous actifs – conduit à souligner la double dimension de l’action."

4•"Pour comprendre la dynamique de l’action ou de ce qu’il serait plus juste d’appeler les séquences d’actions, l’analyse proposée rétablit la nécessaire symétrie entre humains et non-humains."

Callon, M., Law, J., 1997. L’irruption des non-humains dans les sciences humaines: quelques leçons tirées de la sociologie des sciences et des techniques. Recherches 99–118.

mercredi 22 avril 2015

macro versus micro

"Petite échelle/grande échelle : la notion de réseau nous permet de dissoudre la distinction macro/micro qui plombe la théorie sociale depuis ses débuts. L’intégralité de la métaphore d’échelle partant de l’individu à l’état nation, à travers la famille, la parenté élargie, les groupes, les institutions, etc. est remplacée par la métaphore de la connexion. 

Un réseau n’est jamais plus gros qu’un autre, il est simplement plus long ou plus intensément connecté. [...]

Au lieu d’opposer le niveau individuel à la masse, ou l’agentivité à la structure, nous suivons simplement la manière dont un élément donné devient stratégique à travers le nombre de connexions  qu’il établit et de quelle manière il perd de l’importance quand il perd ses connections."


Latour Bruno, 1996. On actor-network theory. A few clarifications plus more than a few complications, Soziale Welt, vol. 47, pp. 369-381.

le réseau contre la tyrannie des géographes


"Éloigné/proche : le premier avantage à penser en termes de réseaux est que nous nous débarrassons de la tyrannie de la distance ou de la proximité ; des éléments qui sont proches quand ils sont déconnectés peuvent être infiniment distants si leurs connexions sont analysées ; au contraire, des éléments qui apparaîtraient infiniment distants pourraient être proches quand leurs connexions sont mise en évidence.[...]

La notion de réseau nous aide à nous débarrasser de la tyrannie des géographes dans la définition de l’espace et nous offre une notion qui n’est ni sociale, ni ’réellement’ spatiale, mais composée d’associations."

Latour Bruno, 1996. On actor-network theory. A few clarifications plus more than a few complications, Soziale Welt, vol. 47, pp. 369-381.

mardi 21 avril 2015

l’école française de sociologie des sciences

l’école française de sociologie des sciences

(extrait de VINCK, D., 1991. Gestion de la Recherche: Nouveaux Problèmes, Nouveaux Outils, sous la coordination de VINCK D. De Boeck Université, Bruxelles 7, pp 14-16 )

"Les lignes de force de cette école de pensée peuvent être résumées de la manière suivante :

1. Étendre l’agnosticisme de l’observateur aux sciences sociales elles-mêmes. Il s’agit d’éviter de porter des jugements sur la façon dont les acteurs analysent leur société exactement comme le sociologue des sciences s’abstenait de porter un jugement sur les arguments scientifiques et techniques des acteurs qu’il étudie. Il s’agit donc de ne privilégier aucun point de vue sur les acteurs et d’enregistrer les incertitudes qui portent sur leur identité lorsqu’elle est controversée.

2. Le principe de symétrie généralisée de CALLON (extension du principe de symétrie de BLOOR). Il ne s’agit plus seulement d’expliquer, dans la même manière, les connaissances acceptées et les croyances rejetées. Il faut aussi rendre compte, dans les mêmes termes, des aspects techniques et des aspects sociaux. De nombreux répertoires peuvent être utilisés, à condition de ne pas en changer lorsqu’on passe d’un aspect à l’autre, par exemple, d’une innovation qui réussit à une autre qui échoue, des aspects techniques aux aspects sociaux.

3. Utiliser la libre association. Il s’agit de repérer comment les acteurs définissent et associent les différents éléments, sans imposer de grille d’analyse préétablie et de grandes distinctions a priori. L’observateur doit enregistrer l’inventaire des catégories utilisées, des entités mobilisées et des relations dans lesquelles elles entrent ainsi que de leurs remises en question permanentes. Il s’agit de rendre aux acteurs leur marge de manœuvre.

4. La théorie de la traduction (CALLON, 1976, 1982a, 1986a) et des réseaux. Il s’agit du répertoire proposé par l’école française conformément au principe méthodologique exposé au point 2 ci-avant.

— La traduction est un processus général par lequel un monde social et naturel se met progressivement en forme et se stabilise. Elle souligne la permanence des déplacements opérés. Elle permet de suivre comment les différents acteurs, notamment les scientifiques et les ingénieurs, sont constamment occupés à redéfinir et à reconstruire la société et le monde en introduisant des associations nouvelles (9). L’identité des acteurs, humains ou non-humains, leur taille et leurs intérêts sont constamment négociés tout au long du processus de traduction ; il n’y a pas de monde pré-défini. Ainsi, les acteurs décrivent un système d’alliances ou d’associations (CALLON, 1981b) entre des entités dont ils définissent à la fois l’identité, les problèmes qui s’interposent entre elles et ce qu’elles veulent. Ils définissent un acteur-monde (CALLON, 1986b) (un ensemble de problèmes et d’entités au sein duquel un acteur se rend indispensable) sans lequel aucune entité (par exemple, un objet technique) ne peut être comprise. Il s’agit ensuite de stabiliser l’identité des différentes entités et leurs liaisons en mettant en place des dispositifs d’intéressement pour interrompre les associations concurrentes (10).

— A l’idée de traduction est aussi liée celle de mobilisation d’alliés : celle-ci consiste à rendre mobiles des entités qui ne l’étaient pas. Par la désignation de porte- paroles et par la mise en place d’une cascade d’intermédiations et d’équivalences, toute une série d’acteurs sont déplacés et rassemblés en un point. Par la sélection de porte-paroles (échantillon de population, modèle animal, délégation syndicale, ratios comptables), c’est-à-dire d’entités qui parlent au nom des autres et donc qui font taire celles-ci, la mobilisation contribue à réduire le nombre d’interlocuteurs représentatifs, à convertir des entités nombreuses et hétérogènes en un plus petit nombre d’entités plus homogènes et plus facilement contrôlables (investissement de forme (THEVENOT, 1985). Certaines entités acquièrent ainsi de la force parce qu’elles réussissent à en mobiliser de nombreuses autres et à se les allier. La mobilisation se matérialise par toute une série de déplacements, de simplifications et de juxtapositions qui conduit à ponctualiser (à transformer en un point ou en une boîte noire (CALLON, 1981, LAW, 1984) un réseau d’entités solidement liées entre elles.

— Lorsqu’une traduction est réussie, elle prend la forme d’un réseau (11) contraignant pour les entités en présence. Alors qu’au début d’une traduction, un acteur avançait des hypothèses sur l’identité d’autres acteurs, leurs relations et leurs objectifs, — il composait son acteur-monde, unifié et auto-suffisant — à l’issue du processus, un réseau de liens les contraint et constitue un acteur-réseau avec ses points de passage obligés. Les éléments de l’acteur-réseau sont hétérogènes et mutuellement définis au cours de leur association.

— L’acteur-réseau a sa propre structure constamment susceptible de changer. Les réseaux et les porte-paroles sont toujours contestables. “De la traduction à la trahison, il n’y a souvent qu’un pas”. De nouveaux déplacements peuvent détourner les acteurs des points de passage obligés qui leur avaient été imposés. Les porte-paroles peuvent être dénoncés, les liaisons défaites, les réseaux se disloquer et s’irréaliser : rien n’est irréversible. Du même coup la description de la réalité sociale et naturelle se remet à fluctuer. Il n’y a plus superposition des descriptions d’un acteur à l’autre. Des controverses, par lesquelles est remise en cause, discutée, négociée ou bafouée la représentativité des porte-paroles, éclosent."

9 : Ainsi, par exemple, des chercheurs, ayant analysé le développement des techniques (LAW, 1987a, 1988a,b), ont montré que de nombreuses distinctions a priori sont non-pertinentes. Il s’agit, notamment, de la délimitation entre ce qui est acquis et ce qui ne l’est pas, entre science fondamentale et appliquée, entre facteurs sociaux et techniques, entre les acteurs participant aux controverses et les autres, entre contenus et contextes, etc.
10 : De nombreuses études ont montré qu’il était possible d’analyser l’argumentation scientifique comme un dispositif d’intéressement : CALLON, 1983, 1984, 1986b, LAW, 1982, 1983, LATOUR, 1984.
11 : La notion de réseau est utilisée pour rendre de compte des associations entre des entités hétérogènes.

CALLON M.(1976), L’opération de traduction comme relation symbolique, in P.Roqueplo, Incidences des rapports sociaux sur le développement des sciences et des techniques, Cordes, 1976
CALLON M. (1981b), LATOUR B., Unscrewing the Big Leviathan : how actors macrostructure reality and how sociologists help them to do so, in Knorr- Cetina K., Cicourel A., Advances in Social Theory and Methodology : Toward an Integration of Micro and Macro-sociologies, Routledge and Kegan Paul, London, 1981
CALLON M. (1982a), LAW J., On Interests and their transformation : Enrolment and Counter-Enrolment, Social Studies of Science, 12(4), 1982, pp 615-625
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