Il sera placé ici en regard des modèles chrono-culturels désormais classiques, fondés sur l’analyse des industries d’habitats mésolithiques aux restes de taille incomparablement plus abondants. Au passage, nous accrocherons à notre raisonnement une autre pièce archéologique inédite, dont la présence en Bretagne semble encore incongrue à la lumière de nos perfectibles connaissances. Notre approche s’éloigne ici autant de la typologie statistique que de la lecture technologique systémique, car hormis à Lannec-er-Gadouer, les contextes archéologiques concernés sont tout sauf fiables. Il ne s’agit surtout pas d’abandonner des approches typologiques et technologiques profitables ailleurs pour revenir aux bons vieux fossiles-directeurs, mais plutôt de défricher quelques entrées de champs dont la mise en culture est proche. Le postulat de cet article est que la présence de ces pièces ne doit rien au hasard ou aux pérégrination de quelques aventuriers mésolithiques, mais est la partie la plus visible de systèmes techniques présents dans le sud de la Bretagne au cours de la néolithisation.

 

Rappel du modèle actuel

De la construction de l’actuelle structuration chrono-culturelle du Mésolithique final breton, retenons trois étapes essentielles, franchies grâces aux travaux souvent contradictoires de M. et S.-J. Péquart, J.-G. Rozoy et O. Kayser. Une synthèse ultérieure, basée sur une multiplication et une pondération de nouveaux critères techniques, a globalement respecté l’organisation proposée par O. Kayser ; le rôle d’une influence néolithique sur les derniers mésolithiques y est en revanche plus développé. Par ailleurs, les travaux de P. Gouletquer et de son équipe concernant l’organisation des territoires et l’économie des matières premières ont donné davantage de consistance à ces échafaudages typologiques.

 

L’industrie mésolithique finale de Beg-er-Vil (Quiberon, Morbihan), sans armatures archaïques et datée de 6000 BP, est la clef de voûte de cette organisation. Cette domination des trapèzes symétriques est néanmoins maintenant clairement attestée sur nombre de site finistérien.

 

L’existence d’un effet de péninsule nous semble aujourd’hui bien attesté pour la fin du Mésolithique, sur un espace qui correspond aux départements du Finistère et du Morbihan (les Côtes d’Armor sont terrae incognitae). Il se traduit par une évolution très particulière en regard du Mésolithique final français.

 

Mais pourquoi des formes triangulaires à Lannec-er-Gadouer ?

La phase finale du Mésolithique sud-breton comprend donc une domination presque sans partage des trapèzes symétriques, ou si l’on préfère un terme plus familier des néolithiciens, des flèches tranchantes. Pourtant, tant dans le sud que dans le nord de la France, l’évolution typologique a suivi un cours radicalement différent, avec une augmentation des pointes à retouches rasantes et la quasi-disparition des trapèzes. On renverra pour le Languedoc, vers les travaux fondamentaux de M. Barbaza et J. Guilaine à Gazel ou à Dourgne. Dans le Bassin parisien, des sites comme Sébouville ou le Bois de Plaisance III à Sonchamp  montrent une direction évolutive similaire, avec de plus grandes imprécisions chronologiques. Le Retzien assume là un rôle de tampon, avec une mixité au sein de ses assemblages (armatures symétriques et armatures perçantes).

 

 

La découverte d’une pointe de Sonchamp dans la fosse 1 de Lannec-er-Gadouer impose des contorsions intellectuelles pour s’intégrer dans ce schéma très général. Il faut supposer une avancée vers l’Ouest des armatures triangulaires à retouches d’amincissement et à piquant-trièdre non-retouché. Cet ensemble inclut les pointes de Sonchamp (figure 1, n°9) et les armatures à éperon (ibid, n°10) ; les secondes se distinguent des premières par une silhouette un peu plus allongés, des retouches plus sinueuses et plus envahissantes et un cran marqué. Les cas intermédiaires sont évidemment nombreux. De ce fait, la pointe de Lannec-er-Gadouer, si elle est bien du type Sonchamp, n’implique pas pour autant un lien direct avec le Bassin parisien. Elle se distingue simplement des critères stylistiques du Centre-Ouest. La datation de cette intrusion ne bénéficie d’aucune preuve directe.

 

La propagation des armatures du Châtelet dans le sud de la Bretagne

Les armatures du Châtelet sont des triangles le plus souvent équilatéraux, dont les troncatures sont réalisées par des retouches bifaciales courtes. Elles sont connus en grand nombre sur les sites retziens, en Loire-Atlantique et en Vendée, parmi des outils parfaitement caractéristiques du Mésolithique final. Elle sont proche par la silhouette des flèches de Montclus du Néolithique ancien méditerranéen, comme l’avait déjà souligné R. Joussaume, et l’un d’entre nous a pu émettre l’hypothèse d’un transfert technique du Néolithique vers le Mésolithique, après avoir écarté des hypothèse de création sur place ou de simple diffusion. Une seule date par le radiocarbone a été obtenue à la Gilardière, qui nous laisse penser à une contemporanéité avec le Téviecien breton, dans la seconde moitié du VI ème millénaire. La médiocre conservation de la plupart des stations autorise à émettre une hypothèse alternative : cette armature pourrait accompagner une phase ultime du système technique retzien, avec une occupation des mêmes sites et donc des effets de palimpsestes systématiques ; il n’y a ensuite qu’un pas à franchir pour supposer la présence de groupes autochtones déjà néolithisés. Dans l’immédiat, il nous semble pourtant délicat d’isoler un seul élément des ensembles retziens, sous prétexte qu’il semble plus évolué que le reste.

 

La station côtière de Goudoul (Lesconil, Finistère) a fait l’objet de nombreuses mentions, la première remontant à 1875. La présence de poteries à spicules, témoins d’un probable habitat de l’âge du Bronze final, était parfois évoquée. Dans un petit paragraphe, J.-P. Le Bihan élargissait la fourchette chronologique et remarquait, dans une collection privée, la présence d’une perle en ambre attribuée à la fin de la Préhistoire, d’un petit bronze, d’une monnaie romaine mais aussi d’ « éclats de silex ». La station de Goudoul, aujourd’hui menacée par les érosions marine et anthropique, livre de nombreuses pièces lithiques, collectées en partie par J. Quiniou après chaque tempête. Elles proviennent de la base d’un niveau de sédiment noir en contact direct avec le granit altéré, recouvert par une mince couche de sable dunaire. On aura compris qu’il n’est pas question un seul instant de disserter sur l’homogénéité de vestiges abandonnés là à diverses périodes. C’est plutôt la présence en ces lieux d’une armature du Châtelet qui retient l’attention.

 

Des glanes, encore des glanes

Au début des années 80, le repérage de la diffusion d’items néolithiques anciens sur la façade atlantique de la France a permis de proposer l’existence d’une entité culturelle liée à la sphère de la Céramique imprimée. Plus récemment, l’enquête sur les armatures à retouches bifaciales (triangles et segments à retouches en doble bisel / armatures du Bétey) nous a permis de dessiner un patatoïde des Pyrénées au Marais Poitevin, souvent lié à des éléments du Néolithique ancien et qui complétait la cartographie des décors céramiques ramassés de-ci delà.

 

Cette manière de procéder – frustrante car imprudente –permet d’esquisser de nouveaux axes de circulation de pièces, sans que l’on puisse dire quels systèmes économiques, sociaux et culturels les ont propulsés et quels sont les mécanismes de propagation. Il est à espérer que des ensembles plus étoffés seront découverts dans le sud de la Bretagne, afin de mettre en branle une gamme plus large d’analyses. Mais il nous semble d’ors et déjà que l’on peut s’immiscer dans l’ultime terme des systèmes techniques mésolithiques, avec l’idée d’une évolution buissonnante négociée différemment sur chaque territoire.

 

Grégor Marchand et Estelle Yven