Après les prospections à la pelle mécanique, puis une évaluation du site à l’aide de tranchées complémentaires, la fouille a été réalisée du 1 avril au 30 septembre 1999, sur une surface de 9200 m², avec une équipe d’une quinzaine de salariés de l’A.F.A.N. Il a permis pour la première fois de définir un habitat complexe du Paléolithique final sur le Massif armoricain, tout en nous donnant une image claire des choix techniques de l’Azilien. Le site occupe une position intermédiaire entre la rive gauche de la Loire et le sommet du versant sud du couple Loire/Aubance. L’environnement immédiat est fortement marqué par le fleuve, avec dix kilomètres de rives accessibles dans un rayon de cinq kilomètres, soit environ une heure de marche en terrain découvert. Abritée des vents et disposant d’une source, la « cuvette » des Chaloignes devait offrir quelques commodités à des groupes exploitant ce versant de la Loire, avec peut-être un couvert arboré plus développé que la steppe à Poacées décrites en Mayenne par les analyses palynologiques.

 


Trois thalwegs de faible importance convergent dans cette « cuvette », fermée par un étroit émissaire lié à un filon de quartz. Cette disposition naturelle a favorisé la conservation des niveaux tardiglaciaires, parfois sous un niveau d’habitat de la Tène finale (partie septentrionale du site), parfois sous la seule terre végétale (partie méridionale du site – zone 8). Des colluvions scellent ces habitats dans tous les vallons. Les analyses géomorphologiques et micromorphologiques mettent en évidence une première phase d’érosion sous climat périglaciaire, suivie d’une phase complexe de dépôts de limons, coiffée au sommet par les vestiges aziliens. La mise en place d’un sol à ce moment désigne une amélioration climatique, que l’on corrèle à l’interstade Alleröd (12000 – 11000 avant J.-C.). Ultérieurement, ces dépôts enregistrent par endroit une reprise du froid (Dryas récent) et des troncatures sédimentaires. La suite de la stratigraphie, datée de l’Holocène, est marquée par des dépôts de limons, lié à une déstabilisation des versants par l’activité anthropique.


Les pièces lithiques pouvant être qualifiées d’aziliennes gisent au sein de dix locus homogènes (locus 1, 2, 3, 4, 10, 11 ,12, 13, 21 et 40), de deux zones homogènes (zones 12 et 13) et de deux zones à forte composante azilienne mais à intrusions postérieures (zones 4 et 5). Il y a également un locus daté du Néolithique final (locus 31). Les unités spatiales couvrent de 25 à 70 m². Le terme de zone est appliqué à un épandage parfois très dense, de surfaces diverses. Il n’y a pas de limites hormis celles imposées par la fouille ou l’érosion postérieure. Il peut s’agir parfois de locus enchevêtrés, mais la démonstration est difficile. Aucun aménagement, aucun foyer, aucune zone rubéfiée, aucun effet de paroi n’ont été perceptibles. Il y a seulement, dans le locus 4, un ensemble de blocs de quartz dispersés. La conservation des matières végétales est compromise par l’acidité des sols du Massif armoricain, hormis dans des milieux anaérobies. C’est par exemple le cas dans l’ensemble de fosse du vallon occidental (fait 18), où des restes humains latèniens étaient préservés.


L’acquisition du silex sur les sources les plus proches a été la solution la plus couramment adoptée par les tailleurs des Chaloignes. Il s’agit pour l’essentiel de galets de terrasses de la Loire, dont les plus proches se trouvent à moins de deux kilomètres de distance. Mais on observe dix matières à cortex non-roulé qui proviennent des bassins sédimentaires, en proportions variables sur les locus (en moyenne 14,7 % des matières déterminées, mais jusqu’à 60 % dans le locus 4). La bordure du Massif n’est qu’à dix kilomètres à l’est ; les formations calcaires de l’ère secondaire sont à vingt kilomètres. La quartzarénite de Montbert, à l’état de trace (0,5 %), a franchi soixante-quinze kilomètres depuis la région nantaise à l’ouest, ce qui représenterait alors distance maximale connue pour l’approvisionnement aux Chaloignes. Mais il reste à déterminer l’origine des autres roches importées. L’ocre a été glanée sur les formations de grès armoricain, à une dizaine de kilomètre au nord du site, peut-être sous l’actuelle ville d’Angers ou plus au nord sur la bordure du Massif armoricain.

 

Les objectifs du débitage sont doubles : d’une part, de petits supports laminaires rectilignes à destination des armatures, d’autre part des éclats courts dont l’épaisseur est constante, pour les grattoirs. La mise en forme des blocs est assurée sans crête, au moyen des nervures naturelles des galets de la Loire. Les plans de frappe ainsi préparés ont un angle de chasse ouvert, souvent proche de 90°. Le débitage est conduit à l’aide d’un percuteur de pierre dure, avec une faible préparation des plans de frappe. La table laminaire est généralement implantée dans le sens longitudinal du bloc. Les flancs et le dos ne portent jamais de traces de crêtes latérales ou dorsales qui pourraient indiquer une mise en forme des blocs avant ou pendant le débitage. Lors de l’exploitation du nucleus, qu’il soit unipolaire ou bipolaire, l’envahissement des flancs est fréquent ; en revanche le débitage n’est pas périphérique, le dos est très rarement exploité. Le rythme du débitage est semi-tournant avec une progression du centre de la table vers les flancs ou d’un bord à l’autre. Le débitage est majoritairement bipolaire. Monopointes asymétriques à dos courbe (dites pointes aziliennes), très rares lamelles à dos, burins sur troncature ou sur cassure, grattoirs unguiformes ou sur bout de lame, sont les principaux outils aménagés de l’Azilien des Chaloignes. Cette industrie offre suffisamment d’arguments pour s’intégrer dans une phase récente de l’Azilien, soit la phase à monopointes précédent le Laborien. Les comparaisons les plus évidents se font avec les niveaux 3 et 3A de Pont-d’Ambon (Dordogne), le niveau 3b du Bois-Ragot (Vienne) et le niveau supérieur du Closeau dans les Hauts-de-Seine). Les dates par le radiocarbone ayant failli, il est possible de placer par analogie ces occupations au Tardiglaciaire, à la fin de l’interstade Alleröd (autour de 10 800 BP, soit de 11 000 avant J.-C.).


Les analyses intra-locus peinent à révéler l’organisation spatiale ; l’enregistrement sédimentaire assez faible et les bioturbations ont pu démanteler les discrets signaux d’organisation spatiale. Il est dans ce cas difficile d’interpréter de manière univoque les locus comme des zones de rejets, comme des amas de débitage ou comme des zones d’activités sur place. Les comparaisons inter-locus sont plus riches de sens, même si les remontages inter-locus n’engagent que des pièces des locus 1 et 2. L’ensemble des types d’outils est présent sur tous les locus ; une analyse fine des proportions de pièces permet néanmoins de nuancer cette observation pour nous entraîner vers des notions de segmentation des activités dans l’espace. Il existe en effet des locus qui se rapprochent d’aires de débitage (locus 4, locus 10 et locus 13) et d’autres qui évoquent des espaces de rejet (locus 11, locus 2). Il est enfin possible que certains locus correspondent à des zones d’activités orientées (locus 40, locus 1). Ainsi dans le locus 1, un faisceau d’indices convergent pour signifier une zone de fabrication d’armatures. L’analyse tracéologique menée par S. Philibert a permis de montrer que, hormis les activités cynégétiques dont témoignent indirectement les armatures, les processus techniques identifiés se rapportent essentiellement au travail de la peau et du bois. Une large part des produits lithiques obtenus est abandonnée sur place, sans avoir servi.

 

Le locus 11 est le seul à avoir livré les galets gravés de fines stries parallèles. Ils sont tous trois en position stratigraphique claire, permettant sans aucun doute de les associer à l’occupation azilienne. Ils illustrent l’existence d’autres préoccupations que les activités de taille et confèrent au locus 11 une autre dimension que celle spécifiquement économique.

 

A partir des données géomorphologiques, spatiales et technologiques recueillies, il est possible d’esquisser un cadre général pour les manières d’habiter dans la cuvette des Chaloignes, sans pour autant que l’on puisse se risquer à identifier des comportements particuliers. Le fonctionnement des locus est probablement discontinu dans le temps. Ils ont été abandonnés à l’issue d’activités menées par une petite partie du groupe, mais il est impossible de savoir si le reste du groupe occupait le centre de la cuvette ou bien si quelques individus seulement venaient régulièrement aux Chaloignes. Le territoire économique, pour ce que l’on en perçoit par la géographie et les territoires d’acquisition, est marqué par le fleuve, à un vaste carrefour entre plusieurs rivières.

 

Une révision des assemblages lithiques contemporains du Tardiglaciaire peut désormais être proposée, à partir d’un nouvel inventaire établi pour le Massif armoricain. Il permet d’opposer l’ensemble des industries à pointes à dos courbe et l’ensemble encore protéiforme des industries à pointes à dos rectilignes, distincts dans l’espace. Le second est probablement postérieur à l’Azilien, mais les travaux sur le sujet restent encore bien imprécis.

 

Rennes, le 2 janvier 2008