Interpréter les mutations des systèmes techniques de la fin du Mésolithique au Portugal

(Texte publié en portugais dans « O Arqueologo Portugues »)

Une première étude des sites mésolithiques de Várzea da Mó et de Cabeço do Rebolador, dans la vallée du Sado (Alentejo, Portugal), avait pu être réalisée, en comparant ces industries avec les collections préservées des amas coquilliers de la vallée de Muge (Marchand, 2001 a et b). Dans cet article, nous souhaitons revenir sur les implications de ces travaux et des découvertes ultérieures, en insistant sur les concepts sous-jacents et en insérant davantage les observations alors réalisées dans les mutations que connaît le continent européen à la veille de la néolithisation. A cause de la nationalité et de la formation de son auteur, cette courte contribution sur le dernier Mésolithique du Portugal porte évidemment en elle une perspective extérieure, dont les décalages plus ou moins revendiqués et toujours très relatifs incitent à réfléchir sur les différentes manières d’aborder quelques questions de la Préhistoire récente.

1. Les enjeux

Le 6 ème millénaire cal BC est au Portugal comme dans le reste de l’Europe occidentale un moment d’ébullition dans les modes de vie, ébullition qui se traduit dans les systèmes techniques et en premier lieu dans le travail de la pierre. La présence de communautés d’éleveurs et d’agriculteurs se fait de plus en plus insistante au cours de ce millénaire, d’abord en France, puis en Espagne et enfin dans le sud du Portugal. Dans ce pays comme ailleurs, le débat a été vif entre les partisans d’une mutation autochtone sous impulsion extérieure (Soares, 1995, 1996) et les partisans d’une arrivée massive de population, par progression saltatoire autour de la péninsule ibérique (Arnaud, 1989 ; Zilhão, 1992, 1998, 2001). Les multiples transformations des systèmes techniques d’un bout à l’autre de l’Europe entre 6500 et 4000 cal. BC attestent des syncrétismes et des contacts innombrables qui accompagnent la néolithisation, avec des changements de rythme et des stabilisations (Mazurié de Keroualin, 2003 ; Guilaine, 2003). Il convient aussi de ne pas oublier que les mutations techniques n’ont pas concerné les ultimes communautés mésolithiques, mais peut-être bien les hommes de toute la seconde moitié du Mésolithique, depuis les débuts du 7 ème millénaire cal BC. En effet l’apparition des dernières industries à lames larges et à armatures trapézoïdales a été source de débat concernant le mode de vie des hommes qui les ont fabriquées, dès le début des travaux sur la période (voir par exemple : Octobon, 1948 ; Barrière, 1956). L’hypothèse d’un phénomène périphérique au Néolithique ancien d’Europe centrale et orientale avait été reformulée de manière stimulante dans les années 1950 par J. G. D. Clark (Clark, 1958), puis elle était tombée en désuétude au profit des hypothèses d’évolution sur place. Il est vrai que les données archéologiques disponibles ne permettaient pas vraiment de lier cette modification technique majeure à un nouveau type d’économie. Au Portugal cependant, les travaux récents de A. C. Araújo marquent bien cette rupture dans les techniques et la gestion des territoires entre le premier mésolithique contemporain du Préboréal et du Boréal et le second mésolithique contemporain de l’Atlantique (Araújo, 2003).

Pour clarifier les propos tenus dans cet article, il convient de préciser que la dichotomie Mésolithique / Néolithique recouvre uniquement un sens économique. Est « néolithique » une économie basée sur la domestication végétale ou animale. En l’état des recherches, les économies de prédation et de stockage, bien connues dans le nord-ouest du continent nord-américain (Testart, 1982 ; Woodburn, 1982), ne sont pas définies sur l’arc atlantique, ce qui n’impose pas d’introduire de nouveaux termes entre le Mésolithique et le Néolithique. Pour celui qui veut saisir la mise en place des premières sociétés agropastorales dans une région particulière, la compréhension du substrat autochtone reste incontournable, quels que soient les modèles de néolithisation que l’on adopte pour rendre compte des transformations. De nouveaux arrivants ont été confrontés à des communautés solidement implantées, qui exploitaient certaines parties de l’environnement, un environnement déjà modifié par les activités de prédation ; ces lignes de force des territoires ont été sûrement encore plus déterminantes dans le cas d’éventuelles mutations sur place des modes de vie. Dans le premier cas, les tensions inter-communautaires ont pu intervenir ; dans le second, ce sont les tensions sociales qui ont pu apparaître : l’archéologue a-t-il les moyens de les percevoir dans les vestiges de la culture matérielle dont il dispose ? Oui peut-être, à condition de se donner les moyens de définir des marqueurs identitaires fiables et surtout de s’assurer qu’ils sont bien synchrones… En effet, dans l’enquête que la communauté archéologique mène sur ces questions, le contrôle chronologique des phénomènes reste essentiel. Toute modification dans l’organisation chronologique a des répercussions immédiates sur les modèles de fonctionnement proposés.

Pour passionnante qu’elle soit, cette perspective n’en reste pas moins empreinte de finalisme, car il semble que l’on ne s’intéresse à ces communautés humaines du Mésolithique que parce qu’elles vont disparaître ! Elargissant alors le débat, il nous semble que les travaux sur le fonctionnement des sociétés de chasseurs-collecteurs du passé nous entraînent de manière inéluctable vers les rapports entre l’homme et le milieu naturel, avec en filigrane des notions d’équilibre et de déséquilibre dans l’exploitation de l’environnement, soit des problématiques fort actuelles dans nos sociétés. La manière dont nos prédécesseurs ont fonctionné dans des environnements de l’Holocène somme toutes très proches du notre est évidemment source d’enseignements. Enfin, cette réflexion peut se placer dans une perspective historique générale, où les rôles respectifs des dynamiques évolutives endogènes et exogènes doivent être examinés.

2. Diversité des approches

Riche de ses amas coquilliers littoraux et estuariens, le Portugal est depuis plus de cent vingt années une terre d’élection des recherches sur la période mésolithique, avec une multitude d’approches scientifiques. L’homme du Tage a d’abord été envahisseur africain (Mendes Corrêa, 1924) avant de devenir chasseur-cueilleur autochtone, inféodé à un milieu généreux (Arnaud, 1987 b ; Araújo, 2003). Ce basculement interprétatif doit beaucoup aux modes scientifiques en vigueur, tandis que la fermeture de la « porte africaine » semble liée partout en Europe à la décolonisation et au départ des archéologues européens du Maghreb. Les étapes de ces recherches passent aussi par une approche chrono-stratigraphique selon la tradition européenne de la seconde moitié du XX ème siècle. Les travaux de Mendes Corrêa (1934), R. S. Pinto (1986) et J. Roche sur les amas coquilliers de la rivière de Muge, en rive gauche du Tage, ont entraîné la publication des premières définitions archéologiques de ces assemblages de vestiges et des stratigraphies disponibles, notamment lors de la fouille de sauvetage menée sur l’amas de Moita do Sebastião (Roche, 1960, 1972). Parce qu’ils faisaient échos aux recherches menées de l’autre côté de la péninsule ibérique par J. Fortea Perez sur la stratigraphie de la Cocina (Fortea Perez, 1973), les fouilles de la rivière de Muge ont permis de donner un cadre chronologique cohérent à ce dernier mésolithique ibérique, accompagné des premières datations par le radiocarbone. Sans se poser en juge, on restera quand même perplexe devant l’exploitation de Cabeço da Amoreira, où le même fouilleur distinguera à la fouille seulement trois niveaux artificiels sur 3,20 mètres d’épaisseurs, avant de relever une coupe comprenant 39 unités stratigraphiques révélant la complexité des interventions humaines sur ces dépôts complexes (Roche 1965, 1967, 1970). Ce fut à n’en pas douter une occasion manquée d’accorder au Mésolithique portugais la chrono-stratigraphie qu’il mérite. Il ne fallait pas compter sur les travaux de M. Heleno pour le faire. Non publiés, ces recherches sur les amas coquilliers de la vallée du Sado dans les années 1950 restent pour le moins mystérieuses. Par bonheur, les vestiges déposés au Musée National d’Archéologie de Belém ont permis dans les années 1980 à J. Arnaud de donner une nouvelle impulsion à la recherche, avec une approche socio-économique dans la tradition de la New-Archaeology (Arnaud, 1987, 1989, 1993). C’est dans une semblable perspective contextuelle que se situent les études menées dix années plus tard par A. C. Araújo sur ce même matériel archéologique (Araújo, 1997) ou par A. Vierra sur le littoral d’Alentejo (Vierra, 1995), mais sur cette fois sur la base d’analyses technologiques.

Cette brève histoire des recherches ne laisse guère de place à des approches « culturalistes », connues en France ou en Allemagne par exemple. Cela a évité probablement certaines dérives, notamment la confusion entre groupe humain et culture archéologique, parfois rencontrée. Dans cette histoire des recherches, jamais n’apparaît le besoin de dessiner des entités culturelles sur les actuels territoires portugais et espagnols, traduisant peut-être une image unitaire très forte que les archéologues du Portugal se font de leur histoire. Dans cette absence de chrono-typologie réside pourtant l’une des carences de la recherche dans ce pays, qui se prive alors de marqueurs chronologiques susceptibles d’éclairer les évolutions techniques et plus généralement sociales. La part de l’environnement dans la reconstitution du passé est également assez faible, faute d’analyses en ce sens. Les relations homme / milieu tiennent pourtant un rôle clef dans la compréhension évolutive des sociétés. Ces approches d’anthropologie culturelle et d’écologie préhistorique seront peut-être dans les années à venir des axes développés à partir des si nombreux amas coquilliers du Portugal.

3. La caractérisation technique : entre déterminisme naturel et fait culturel

3.1. Questions de méthode

Sans prétendre résoudre tous les problèmes évoqués plus haut, l’approche technologique a le mérite d’unifier bon nombre d’observations sur les industries lithiques à partir du concept commode de « chaîne opératoire », qualifié d’ « ensemble des transformations intentionnelles, dans un processus cohérent, du matériau brut jusqu’à son abandon » (Pélegrin, 1986).

En premier lieu, les interrogations concernent l’objet même de l’étude, puisqu’il est théoriquement possible de rattacher dans un même processus opératoire l’ensemble des pièces des vestiges d’un débitage, par un remontage mental à défaut de remontage physique (presque impossible dans un amas coquillier). Dans cette optique, les pièces s’agencent comme un puzzle, avec des séquences de production (éclats, lamelles), scandées par des reconfiguration du bloc (tablettes, crêtes, néo-crêtes, etc…). Ces dernières correspondent souvent à des moments stratégiques des chaînes opératoires, des moments que l’on ne peut rater. En pratique pour les cas qui nous intéressent ici, certaines zones d’ombre existent dans les liens entre les séquences, ainsi du passage entre le décorticage des blocs et la production lamellaire standardisée. En revanche, les liens techniques entre nucleus, éclats de mise en forme (tablette, crête, néo-crête), lamelles et armatures géométriques sont assez aisés à éclairer ; ils nous informent sur la partie de la chaîne opératoire où l’investissement technique est maximum, en fin de production. L’analyse technologique va alors se concentrer sur la gestion des volumes et sur la conception du débitage, entre déterminisme du bloc et choix culturel. L’approche fonctionnelle, basée notamment sur les analyses tracéologiques, reste un domaine de recherche à explorer sur cette aire géographique, si l’on excepte les tests menés par J. F. Gibaja sur des pièces du Néolithique ancien (Gibaja et alii, 2002). Enfin, il semblerait curieux de se séparer d’une approche typologique au profit d’une réflexion axée uniquement sur les manières de faire ou d’utiliser. Les résultats obtenus ne sont tout simplement pas les mêmes. Des travaux d’ethno-archéologie maintenant assez anciens ont pu montrer la profusion de significations symboliques et sociales des flèches (Wiesner, 1983 ; Lemonnier, 1987 ; Pétrequin, 1990), pour ne prendre que ce domaine sur-valorisé de la culture matérielle. Dans la mesure où les armatures géométriques du Mésolithique sont pour l’essentiel des armes (Nuzhnij, 1989), il est logique de traiter ces pièces comme des vecteurs identitaires, comme leurs correspondants en Nouvelle-Guinée ou dans le Kalahari. La diversité des retouches et des inclinaisons dans les troncatures ne doit rien aux hasards, mais révèlent une stabilité dans le temps et dans l’espace qui désigne des territoires culturels. Pour la période qui nous intéresse ici, les autres outils sont nettement moins signifiants. Le croisement de ces paramètres fonctionnels, techniques et identitaires est le mode de recherche que nous avons choisi, après d’autres chercheurs au Portugal (Araújo, 1997 ; Vierra, 1995).

3.2. Dans la vallée du Sado : Várzea da Mó et Cabeço do Rebolador

Deux amas coquilliers de la vallée du Sado, en Alentejo, vont nous permettre de définir les choix techniques de ces populations de la fin du Mésolithique : Várzea da Mó et Cabeço do Rebolador (Alcacer do Sal - Marchand, 2001). Fouillés dans les années 1950 par M. Heleno, ils s’intègrent à un ensemble de onze amas regroupés dans la basse vallée du Sado, à la limite d’invasion des eaux marines dans cette ria (figure 1). Il s’agit de deux habitats de faibles dimensions en regard des deux sites principaux, Poças de Sao Bento et Cabeço do Pez, avec lesquelles ont du exister des liens de complémentarité économique (Arnaud, 1989 ; Araújo, 1995-1997). Les datations par le radiocarbone réalisées sur coquilles indiquent une même plage chronologique pour Várzea da Mó et Cabeço do Rebolador, entre 5650 et 5500 cal. BC, les autres sites se plaçant également dans ce millénaire.

Figure 1. Carte des principaux sites mésolithiques et néolithiques du centre et du sud du Portugal. 1 : Gruta dos Carrascos ; 2 : Gruta da Almonda ; 3 : Laranjal de Cabeço das Pias ; 4 : Abrigo da Pena d’Água ; 5 : Gruta do Caldeirão ; 6 : Forno da Telha ; 7 : Bocas ; 8 : Moita do Sebastião ; 9 : Cabeço da Arruda ; 10 : Cabeço da Amoreira ; 11 : Escoural ; 12 : Valada do Mato ; 13 : Arapouco ; 14 : Cabeço do Rebolador ; 15 : Poças de São Bento ; 16 : Fonte da Mina ; 17 : Várzea da Mó ; 18 : Barranco da Moura ; 19 : Barrada das Vieiras ; 20 : As Amoreiras ; 21 : Vale de Romeiras ; 22 : Cabeço do Pez ; 23 : Barrada do Grilo ; 24 : Vale Pincel 1 ; 25 : Samouqueira ; 26 : Vidigal ; 27 : Fiais (DAO : G. Marchand).

En sommet d’un versant qui borde le Sado, l’amas de Cabeço do Rebolador couvre environ 100 m² et les sondages ont concerné environ 30 m². Contrairement aux autres, ce petit site ne contenait pas de squelette humain. Les quatre sondages réalisés ont révélé une stratigraphie succincte, le niveau coquillier reposant sous un niveau mixte (sable-humus-coquilles). Les deux niveaux contiennent des pièces lithiques (N = 2109). Il n’y a pas de différences notables dans l’organisation stratigraphique, si ce n’est que les huit segments de la collection sont tous dans le premier niveau, ce qui correspondrait à l’évolution typologique observée à Cabeço da Amoreira, où la proportion de segment augmente à mesure que l’on monte dans les niveaux (Roche, 1951, 1970).

Sur une petite dune en bas de pente, le long d’un affluent du Sado, l’amas de Várzea da Mó est relativement mal connu, de même que la nature des fouilles de M. Heleno. Un niveau mixte de coquilles, de sables et de cendres compose le premier niveau, qui repose sur un sable blanc. Cette absence de couverture sédimentaire sur le niveau mésolithique explique les intrusions de tessons d’âge historique. L’étude a porté sur 1222 pièces lithiques.

Les seules roches disponibles localement sont des schistes siliceux de médiocre qualité à la taille, qui se présentent plutôt en plaquettes ; quelle latitude dans le traitement des volumes est permise au tailleur préhistorique ? L’adaptation à ce matériau se traduit par une faible productivité des nucleus et par une certaine souplesse des normes. Les phases de mise en forme, dispendieuses en matière, sont des plus sommaires (fractionnement de plaquettes au percuteur dur). La chaîne opératoire principale est une chaîne opératoire intégrée, dont l’obtention de lamelles étroites, aux nervures régulières et au profil peu arqué est l’objectif principal. Les principes volumétriques comprennent une implantation de la table lamellaire dans des parties étroites et allongées du volume, naturellement circonscrites par des flancs non-exploités (souvent des surfaces corticales ou des diaclases). Le débitage est uniquement unipolaire, les enlèvements à partir d’un plan de frappe opposé sont destinés à corriger la carène (convexités longitudinales). L’exploitation est frontale, encadrée par des enlèvements lamellaires débordants (figure 1). L’entretien des zones de percussion se fait par un facettage, réalisé sur trois côtés à partir de la table et des deux flancs. La technique de percussion reste difficile à diagnostiquer ; on sait que la percussion indirecte est présente dans le Mésolithique final de Cabeço da Amoreira (Marchand, 2001), mais sur les roches utilisées dans la vallée du Sado, les stigmates restent peu loquaces.

Figure 2. Principes volumétriques du débitage à Cabeço do Rebolador. A partir d’un schéma de base (au centre), plusieurs modalités techniques sont déclinées , qui forment une signature culturelle . Les mentions de fréquence se comprennent comme suit : très fréquent = modalité presque exclusive, fréquent = 5 à 10 exemplaires, rare = 1 à 5 exemplaires (DAO : G. Marchand).

Les lamelles serviront à la confection d’armatures (segments étroits, trapèzes asymétriques, triangles scalènes), en proportions variables. A Cabeço do Rebolador, ce sont les trapèzes qui dominent les deux autres classes (37,7 % des armatures – figure 3), avec en majorité des trapèzes asymétriques à troncatures rectilignes, tandis qu’à Várzea da Mó, les segments sont les plus nombreux (59,7 % - figure 4). L’outillage commun (denticulés, rares grattoirs, éclats utilisés) bénéficie des produits obtenus lors des phases préparatoires ou lors de la régularisation des volumes. La phase de retouche lors de la confection des segments ajoute un peu plus de souplesse, en transformant si besoin est le support qui dès lors n’a pas besoin d’être très régulier. Enfin, des entorses au besoin de régularité des supports des trapèzes sont parfois observées, notamment à Cabeço do Rebolador, avec l’usage de lamelles semi-corticales. Ces visages successifs de l’adaptation aux schistes siliceux sont un ensemble de choix techniques parmi d’autres, qui forment la signature particulière des traditions techniques du Mésolithique final du Sado. La diminution de taille par rapports aux industries de la rivière de Muge est liée à la disponibilité de la matière première, en considérant quand même qu’il s’agit d’un choix du tailleur qui pouvait réduire la quantité de pièces obtenues plutôt que d’en réduire les dimensions.

Figure 3. Cabeço do Rebolador. 1-14 et 26 : trapèzes ; 15-20 : triangles ; 21 : triangle ou trapèze ; 23 : pointe ; 22 et 24-25 : armatures indéfinies ; 29 : lamelle à dos rectiligne ; 27-28 et 30-33 : segments ; 34-36 : microburins (dessins : G. Marchand).

 

Figure 4. Várzea da Mó. 1-10 : trapèzes ; 11-13 : triangles ; 14-34 et 36-37 : segments ; 38 : pointe à troncature oblique ; 39 : fragment d’armature ; 40 : armature indéfinie (trapèze plutôt que triangle) (dessins : G. Marchand).

Sur ces roches fines et en fonction des volumes des blocs, il semblerait y avoir une chaîne opératoire autonome pour les éclats, mais sa faible prédétermination empêche de la comprendre avec précision. Le débitage d’autres roches moins homogènes comme le quartz, ou plus grenue comme le grès, s’inscrit dans cette logique opportuniste. Pour les galets de grès, on notera à Cabeço do Rebolador la transformation en chopper (N = 4), en enclume (N = 1), en percuteur (N= 4) ou encore un rapide débitage pour l’obtention d’éclats (5 nucleus). Ces chaînes opératoires peuvent se comparer aux débitages antérieurs, reconnus par exemple en Alentejo à Monte de Xerez de Baixo par A. Araújo et F. Almeida (Araújo, Almeida, 2003). Pour sommaires qu’elles soient, elles n’ont pas été réalisées n’importe où, ni à n’importe quelle époque et témoignent donc d’une manière particulière d’appréhender les matériaux. A la différence des armatures géométriques, on a là un domaine de la culture matériel affecté d’une faible variabilité au cours du temps, une sorte d’invariant des techniques au cours de l’Holocène.

3.3. Une entité technique pour quelle type d’économie ?

L’unité des deux collections est indéniable dans ses principes techniques et les types d’objets fabriqués et on peut sans hésiter les lier à celle de Poças de Sao Bento, étudiée par A. C. Araújo. Outre la différence dans les proportions d’armatures mentionnée plus haut, l’analyse montre une grande variété des chaînes opératoires à Cabeço do Rebolador, tandis qu’à Várzea da Mó la production favorise une production lamellaire, destinée à la réfection des armes de chasse. Cette différence pourrait traduire des fonctions différentes de ces deux habitats ou bien encore des durées d’occupation différentes (plus courte à Várzea da Mó ?). Cette remarque d’ordre fonctionnel introduit une nuance dans le modèle proposé par J. Arnaud (Arnaud, 1989), puisque ces deux sites étaient proposés comme stations logistiques, très peu occupée à Cabeço do Rebolador. En définitive, le mélange des occupations sur les vastes amas coquilliers laisse peu d’espoirs quant à l’analyse précise du statut économique de ces sites, à moins de fouiller par petites unités stratigraphiques ce qui n’est pas forcément réalisable. La restriction des territoires d’approvisionnement en matière taillable est manifeste dans cette économie, si l’on considère que les schistes siliceux ont été récoltés à moins de quinze kilomètres des amas coquilliers. Elle se conjugue sans peine avec l’économie de prédation qui semble très ouverte et l’intensité de l’occupation dans cette petite portion de vallée, pour désigner des groupes de chasseurs-collecteurs solidement implantés sur leur territoire. Il convient de rester plus réservé lorsqu’il s’agit de juger du rythme d’occupation des sites, voire même de sédentarité, car on ne dispose pas d’indicateurs suffisamment précis sur le sujet.

Les caractères analysés à Várzea da Mó et à Cabeço do Rebolador composent une première définition d’une entité technique (ou faciès) que l’on se gardera bien, en l’état des travaux, de qualifier de groupe culturel, ni même de superposer à des options économiques particulières. Elle pourrait intégrer les sites de la rivière de Muge, car les différences typologiques sont mineures, tandis que l’on a vu que les modifications dans la taille des pièces étaient liées à une plus grande disponibilité des roches siliceuses. Aucune des limites septentrionales ou orientales de cette entité technique ne peut encore être fixée. Actuellement, les sites du Mésolithique final sans niveaux coquilliers sont très rares au Portugal. Cette observation dissimule peut-être un problème d’identification de ces habitats. Il est possible que des industries à trapèzes et à segments trouvées en prospections de surface en ou fouille soient plutôt attribuées à un Néolithique ancien, même lorsqu’il n’y a pas de céramique, ainsi de certaines découvertes réalisées lors des prospections réalisées dans la région de Montemor-o-Novo (Calado, 2003) ou de Reguengos de Monsaraz (Carraça 1 – Gonçalves, 2002). Cette difficulté à discriminer les industries lithiques du Mésolithique final et du Néolithique ancien illustre d’ailleurs certaines similitudes techniques, sur lesquelles nous reviendrons plus loin. On imagine assez bien que si l’on adopte cette manière de voir les choses, les exclusions territoriales comme celle que l’on connaît pour le Mésolithique final à l’intérieur de l’Alentejo seraient largement remises en cause. Comment vivaient ces populations lorsqu’elles s’éloignaient des estuaires et du littoral ? Peut-on envisager des relations de complémentarité avec les niveaux coquilliers ? A l’heure actuelle, il n’est même pas impossible que des groupes chasseurs dans l’estuaire du Sado aient pratiqué des activités agraires ou pastorales à l’intérieure de l’Alentejo, pendant une partie de l’année. Seules de nouvelles fouilles sur des sites non-coquilliers permettraient de lutter contre les problèmes taphonomiques et d’affiner notre compréhension des dernières économies de prédation.

4. Et la néolithisation dans tout ça ?

4.1. Visages du premier Néolithique au Portugal

Le courant de néolithisation méditerranéen est le premier à atteindre l’Atlantique, au milieu du 6 ème millénaire cal BC, dans le sud de la péninsule ibérique. La présence de groupes néolithiques aux racines clairement cardiales est attestée au Portugal dans la seconde moitié de ce millénaire (figure 1). Elle s’exprimerait d’abord au sud du pays, en Algarve (Cabranosa et Padrão – Cardoso et alii, 1998), et un peu plus tard au centre, dans des abris-sous-roche et grottes de l’Estremadura portugaise (Almonda, Caldeirão, Pena d’Agua – Carvalho, 2002). L’extension au nord de ce Néolithique ancien portugais d’obédience cardiale ne semble pas dépasser le fleuve Mondego, au milieu du pays. Par des analogies dans la typologie céramique, une arrivée vers 5700 cal BC a été supposée, par exemple à Cabranosa ou à Figueira da Foz (Zilhão, 1993). Récemment, J. Zilhão a proposé une révision de ces dates. Si l’on ne prend en compte que les échantillons à vie courte (coquillages, os, noisettes, graines), les datations par le radiocarbone des premières phases de la séquence cardiale, de la France au Portugal, se regrouperaient autour de 5400 cal BC, sans que le pouvoir de résolution de la méthode ne permette de distinguer de gradient chronologique entre l’est et l’ouest (Zilhão, 2001). Ceci impliquerait une diffusion très rapide de ces groupes, par voie maritime selon l’auteur. Les récentes découvertes dans la « Meseta » espagnole viennent pourtant donner corps à l’idée d’une colonisation par un afflux important de populations au cœur de la péninsule ibérique (Kunst et Rojo Guerra, 1999). Il y a par ailleurs des flèches de Montclus (flèches tranchante à retouches abruptes inverses, puis directes rasantes) typiques du Cardial de France à l’intérieur du Portugal, comme en attestent des découvertes inédites de M. Calado dans la région d’Evora. On ignore encore l’existence de ces flèches sur la frange côtière du pays, ce qui conduit à ne pas négliger l’hypothèse d’une progression du Néolithique ancien de la Méditerranée vers l’Atlantique, par l’intérieur de la péninsule le long du Tage. Une hypothèse proche a été formulée par M. Diniz lors d’une première analyse du site de Valada do Mato (Evora, Alentejo - Diniz, 1996 ; Diniz et Calado, 1997).


Caractères

Mésolithique final du Sado

Néolithique ancien

Préparation du bloc

Néant

Traitement thermique

Mise en forme du volume

Sommaire

Sommaire

Objectif du débitage

Lamelles - Eclats

Lamelles - Eclats

Méthode

Débitage frontal de lamelles sur tables étroites

Débitage « pyramidal »

 

Débitage d’éclats à faible prédétermination

Débitage d’éclats à faible prédétermination

Néant

Percussion bipolaire sur enclume pour certains blocs

Technique de débitage lamellaire

Percussion indirecte

Percussion indirecte

Pression

Procédés

Facettage des plans de frappe

Facettage des plans de frappe

Microburins

Néant

Armatures

Segments

Segments

Trapèzes, rares triangles

Néant

Outils

Supports non aménagés

Supports non aménagés

Denticulés

Denticulés

Néant

Perçoir fusiforme

Armatures de faucille

Tableau 1. Caractères communs et oppositions entre le débitage mésolithique final du Sado et le débitage néolithique ancien (Estremadura et Algarve mêlés).


Les industries lithiques du Néolithique ancien, telles qu’on les connaît en Estremadura portuguesa (par exemple à Almonda, à Pena d’Água ou à Laranjal de Cabeço das Pias – Carvalho, 1998), vont se différencier de celles du Mésolithique final sur plusieurs points (tableau 1) : l’importante préparation thermique des blocs, l’usage de la pression pour le débitage en parallèle de la percussion indirecte, une production d’éclats par percussion bipolaire sur enclume pour certains blocs, l’absence de trapèzes et de triangles parmi les armatures, la présence épisodique de perçoirs fusiformes ou encore quelques éléments de faucille à tranchant lustré. Mais elles trouvent des caractères communs tout aussi importants : l’orientation des chaînes opératoires vers la production de lamelles régulières à section prismatique, la préparation par facettage des plans de frappe, la représentation non marginale des segments, le faible éventail typologique dans l’outillage commun (quasi-absence des burins et rareté des grattoirs). La compréhension des rapports que ces industries entretiennent avec celles du Mésolithique passe d’abord l’analyse des enchaînements chronologiques du processus de néolithisation.

4.2. Les zones de contact et le contrôle du temps

La clef de la discussion sur les contacts entre communautés de chasseurs-cueilleurs et d’agriculteurs-éleveurs pourrait se résumer au contrôle des synchronies et des diachronies, ou si l’on préfère au contrôle du temps. Que les deux types de communautés aient cohabité sur des aires restreintes semble une évidence ; en trouver les traces archéologiques pour comprendre comment cela a pu se produire semble un enjeu plus pragmatique et donc plus pertinent. En associant les dates par le radiocarbone, les quelques stratigraphies disponibles et la typologie lithique, une périodisation de la fin du Mésolithique peut être proposée, qui couvre le sixième millénaire cal. BC (Marchand, 2001). Les dynamiques évolutives que l’on peut saisir avec les différents moyens chronologiques à notre disposition ne sont pas les mêmes. Le radiocarbone va donner des plages chronologiques assez larges, l’association des vestiges organiques datés et de la culture matérielle étant en plus souvent délicate à comprendre (problèmes taphonomiques). La technologie lithique donne également des variations longues et il faut toujours les pondérer en prenant en compte la morphologie de la matière première disponible. L’analyse typologique reflète des moments plus courts, mais il faut à chaque fois tenir compte de la fonction des habitats et de l’organisation économique des activités (les organisations sociales et symboliques, évoquées plus haut, sont presque inaccessibles au préhistorien). Par commodité pour le discours, nous proposons d’utiliser des lettres MF1 à MF 3 pour le Mésolithique, NA1 et NA2 pour le Néolithique ancien (tableau 2). Dans ce modèle chronologique, ce faciès à triangles de Muge (MF2) est intermédiaire entre le faciès « Moita do Sebastião » (MF1) et le faciès « Sado » (MF3). Une date par le radiocarbone obtenue récemment sur le squelette 7 de Cabeço da Amoreira se place d’ailleurs de manière idéale entre les deux (Beta-127450 : 6850 +/- 40 BP, 5810-5640 cal BC) (Cunha et alii, 2003).

Que nous apprend cette confrontation des méthodes de datation en ce qui concerne les scénarios évolutifs du Mésolithique final au Portugal ? Du point de vue de la dynamique des changements techniques sur tout le sixième millénaire cal BC, on enregistrera d’abord au milieu du développement des industries à trapèzes symétriques un épisode à triangles à épine (de type Muge), puis une montée en puissance des segments qui s’illustre bien notamment dans la stratigraphie de Cabeço da Amoreira et dans une bien moindre mesure à Cabeço do Rebolador. La domination des mêmes segments dans le premier Néolithique portugais (Carvalho, 1998) se place en définitive comme une suite logique de cette dynamique technique ! Un phénomène qui n’entre pas dans ce cadre est la résurgence des trapèzes asymétriques en parallèle des segments (qui restent dominants) dans un Néolithique ancien évolué, comme par exemple à Valada do Mato, fouillé près d’Evora par M. Diniz. Une date comprise entre l’extrême fin du sixième millénaire et le début du cinquième le met en parallèle avec le Néolithique ancien évolué (NA-2). Une telle association de segments et de trapèzes va se prolonger jusqu’au quatrième millénaire avant J.-C., surtout en contexte sépulcral et donc probablement ritualisé. Notons également que les dimensions de ces pièces sont nettement plus conséquentes, ce qui implique probablement l’usage d’arcs plus puissants. Après un premier Néolithique à segments exclusif (NA-1 et NA-2), tout se passe comme si d’autres techno-complexes issus du Mésolithique final revenaient interagir avec ceux d’autres sociétés agro-pastorales, soit finalement un scénario de populations imbriquées en contact constant. Là peut-être se situe l’un des blocages de notre réflexion d’archéologue, puisque nous ne disposons pas d’enregistrement des temps courts qui seul permettrait de matérialiser ce type de d’interaction.


Faciès

Datation (calibrée)

Caractère typologique principal

Caractère typologique secondaire

Caractère technologique particulier

Sites de référence

Autre sites

MF 1

6100-5900

Trapèzes asymétriques

Rares triangles

 

Moïta do Sebastião

Arapouco (?) – Vale de Romeiras (?)

MF 2

5800-5600

Triangles à épine

Trapèzes - Apparition des segments

 

Cabeço da Amoreira

 

MF 3

5600-5000

Segments et trapèzes asymétriques

Faible taux de triangles

 

Poças de S. Bento

Fiais – Vidigal – Várzea da Mó
 – Cabeço do Rebolador –

NA 1

5500-5000

Segment

-

Traitement thermique

Gruta do Caldeirao

Pena d’Agua

NA 2

5000-4800

Segment

 

Traitement thermique

Sao Pedro de Canaferrim

 

Tableau 2. Organisation chronologique du  Mésolithique final et du Néolithique ancien dans le Portugal central et méridional (Marchand 2001 b, complété ; Carvalho, 1998 ; Zilhão, 1992 ; Simoes, 1999).


Une autre implication de cette périodisation pourrait apparaître – avec plus de réserve – dans la répartition des faciès techniques sur le territoire. On constatera en effet que la fin du Mésolithique final (MF3) est presque absente des amas de la vallée de Muge, soit que ses traces aient été détruites aujourd’hui sur certains des amas, soit que les populations mésolithiques aient vraiment disparu de la zone. Une date récente obtenue sur un squelette à Cabeço da Arruda ne renvoie finalement qu’à un homme et non au techno-complexe mésolithique qui l’accompagnait et qui est inconnu. Ce faciès est en revanche présent dans la vallée du Sado, peut-être jusqu’au début du cinquième millénaire cal BC à As Amoreiras (Arnaud, 1986, 1993). L’absence de contact entre les populations mésolithiques et néolithiques - mentionnée par de nombreux chercheurs (Arnaud, 1990 ; Zilhão, 2000 ; Carvalho, 2002) - pourrait s’expliquer par un décalage chronologique entre le Néolithique ancien d’Estremadura (seconde moitié du 6 ème millénaire cal BC) et le Mésolithique final de la rivière de Muge (première moitié de ce millénaire).

4.3. Autres transferts techniques en péninsule ibérique

Les mutations décrites dans le paragraphe précédent concernent des orientations lourdes des productions lithiques, qui dénoncent des contacts, des blocages et des filiations entre systèmes techniques, et par extension entre communautés préhistoriques. Les principes définis trouvent aisément des correspondances dans l’ouest de la France (Marchand, 2000, 2001 a, 2003- figure 5), mais également loin de l’Océan, du nord de la France aux côtes orientales de l’Espagne. Si l’on ne considère que cette dernière aire géographique, le suivi des mécanismes de transferts techniques dans les zones de contact est déjà ancien (Fortea, 1973 ; Fortea et Marti, 1984-85 ; Juan-Cabanilles, 1985 ; Bernabeu Auban, 1989 ; Bernabeu Auban et Juan-Cabanilles, 1999 ; Bernabeu Auban, 2002). Le modèle « dual » oppose les systèmes techniques néolithiques du littoral à des systèmes de tradition technique mésolithique dans les terres. Prenant en compte les critiques de J. Zilhão concernant le vieillissement des datations sur charbon (Zilhão, 2001), on peut penser que cette phase ne commencerait pas avant 5600 cal BC (Bernabeu Auban, 2002). Lors de cette coexistence, un nouveau type d’armatures à retouches bifaciales (dites en « doble bisel ») semblait apparaître, d’abord en contexte mésolithique (phase B et surtout C de ce Complexe géométrique), pour ensuite accompagner le Néolithique post-cardial dans le nord-ouest de l’Espagne. La découverte en abondance de telles armatures en contexte cardial à Chaves dans le Haut-Aragon (Cava, 2000), à des dates anciennes comparables à celles du littoral, a récemment conduit à moduler ce schéma (Bernabeu Auban, 2002 ; Juan-Cabanilles et Martí, 2002). A l’heure actuelle, il est simplement possible d’affirmer que les groupes littoraux du Néolithique ancien arrivent avec des bitroncatures symétriques à retouches abruptes ou rasantes ; ensuite, pendant la phase de contact mésolithique/néolithique, ils développent particulièrement les segments et triangles à retouches bifaciales, qui deviendront largement dominants à l’ouest de la péninsule (figure 5). Les phases ultérieures du Néolithique conserveront cette forme.


Figure 5. Exemples de transferts techniques dans l’ouest de la France, au Portugal et dans l’est de l’Espagne. L’un des enjeux de recherches dans la péninsule ibérique est de détecter l’origine de ces segments, qui semblent indiquer des influences culturelles non-européennes.


Au Portugal, l’apparition des segments à la fin du Mésolithique peut être interprétée de plusieurs manières :

- soit il s’agit d’une évolution autonome du Mésolithique ibérique, vers 5700-5600 cal BC, qui se serait alors transmise au Néolithique ancien cardial à plusieurs endroits, en interaction avec les systèmes autochtones (retouches bifaciales à l’est de l’Espagne, retouches abruptes au Portugal),

- soit il s’agit d’un phénomène de transfert du Néolithique vers le Mésolithique (mais d’où vient cette forme ?).

- soit il s’agit de la trace d’un troisième intervenant, en l’occurrence une influence africaine, qui irriguerait autant les systèmes techniques mésolithiques que néolithiques dans la seconde moitié du 6 ème millénaire cal. BC.

5. Conclusions

L’ensemble des données économiques recueillies dans les onze amas coquilliers de la vallée du Sado renvoie l’image d’un système très ancré dans un territoire restreint. La prospérité de tels groupes est difficile à estimer : les amas de la rivière de Muge démontrent une occupation sur environ un millénaire sans changement visible, ce qui est en soi la démonstration d’une alternative crédible aux économies de production. Pourtant, les analyses isotopiques réalisées sur les ossements humains, tant au Portugal (Lubell et alii, 1997) que sur le reste de la façade atlantique (Richards et alii, 2003) montrent l’ampleur du basculement des modes d’alimentation, dès que l’élevage est disponible dans une région : les produits de la mer sont-ils des aliments de pénurie ou bien doit-on interroger d’abord le domaine des représentations mentales, de l’idéologie des agriculteurs-éleveurs qui changerait du tout au tout ?

Les nouvelles définitions des industries lithiques de la vallée du Sado (Araújo, 1997 ; Marchand, 2001), du littoral d’Alentejo (Vierra, 1995) ou du Néolithique ancien portugais (Carvalho, 1998, 2002) ont permis de pointer les différences, mais aussi les similitudes entre les entités techniques mésolithiques et néolithiques, qui démontrent en définitive que l’on ne peut étudier l’une sans l’autre. Les sociétés du littoral atlantique sont marquées par un rapport particulier à l’océan, qui semble autoriser les phases de stabilisation longues. Dans certaines régions atlantiques, il apparaît pourtant que les sites coquilliers sur lesquels reposent ces hypothèses ne sont pas les plus nombreux et qu’ils ne peuvent résumer toute l’économie des communautés mésolithiques, ainsi en Bretagne (France) où les quatre amas coquilliers littoraux connus doivent être mis en parallèles des 58 sites non-coquilliers du Mésolithique final. De même, il semble à l’auteur de cet article que l’on ne doit pas systématiquement placer les industries à trapèzes et segments dans le Néolithique ancien, lorsque l’on ne trouve pas de coquilles associées, sauf à vouloir perpétuer des raisonnements circulaires. La compréhension des enclaves mésolithiques doit alors s’éloigner des déterminismes naturels exclusifs, pour s’orienter vers des explications d’ordre historique, qui font autant intervenir la dynamique interne des sociétés de chasseurs-pêcheurs-collecteurs que celle des communautés d’éleveurs ou agriculteurs.

Un autre point important sur lequel il convient d’insister concerne les particularités du premier Néolithique portugais, si on le compare au Cardial valencien dont il est issu. Les mutations des industries lithiques sont fortes par rapport à l’est de l’Espagne. Si on compare cette gamme de vestige avec ceux du Cardial de France, il semblerait même que l’on devrait abandonner le terme de Cardial pour désigner le Néolithique ancien du Portugal, au profit d’un terme qui reste à proposer. L’intervention d’influences d’Afrique du Nord est fort probable, probablement indirectes avec un filtre des groupes d’Andalousie. Pour ce qui concerne strictement le sujet de cet article, il nous semble que les dernières populations de chasseurs-collecteurs dans la moitié sud du Portugal ont pu être en contact avec des idées, des objets ou des populations venues d’Afrique, peut-être avant même la néolithisation, dans le cadre des contacts et échanges entre communautés de chasseurs-collecteurs.
 

Note de fin de texte :

Pour m’avoir permis d’accéder au matériel lithique et de m’avoir offert d’excellentes conditions d’études, je remercie J. L. Raposo. Pour leurs discussions, leur aide ou leurs conseils, je suis très reconnaissant à A. C. Araújo, M. Calado, A. Carvalho, M. Diniz et V.S. Gonçalves.


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