Le premier coup de boutoir correspond au réchauffement climatique qui clôt la dernière glaciation, dix mille ans avant notre ère. La remontée de la mer de plus d’une centaine de mètres, le développement des forêts ou encore les changements de gibiers imposent alors de nouvelles organisations territoriales, comme de nouvelles techniques de chasse. Le second coup de boutoir intervient quatre mille ans plus tard, lorsque l’agriculture et l’élevage deviennent progressivement les sources de l’alimentation, tandis que se développent les hiérarchies sociales. L’ouest de l’Europe est alors la dernière station d’un long processus parti du Proche-Orient, fait d’échanges et de colonisation. Cette période intermédiaire entre les deux révolutions est qualifiée de Mésolithique. Elle est riche d’adaptations techniques, de changements sociaux, d’échanges et de mouvements de population. Nous en cherchons les traces dans l’outillage ou les restes alimentaires, imposant au matériel de nous évoquer l’immatériel.



Depuis la négociation foncière pour obtenir la précieuse autorisation de fouille auprès d’un agriculteur jusqu’à l’analyse au microscope des traces d’usure sur le tranchant des couteaux, le métier d’archéologue est particulièrement diversifié ! L’enquête archéologique fait intervenir de nombreux spécialistes, avec presque toujours en amont, un amateur ramassant des cailloux taillés dans un champ labouré. Mais le sens à donner à ces trouvailles nait de notre capacité à trouver des relations et donc à organiser les recherches.


Depuis 2001, le laboratoire d’archéologie de l’Université de Rennes 1 (UMR 6566 du CNRS) est impliqué dans un réseau à l’échelle européenne, avec des financements divers, qui nous permet de comparer les processus en Irlande, Ecosse, France et au Portugal. Appuyés sur de nombreuses opérations de terrain, des avancées importantes concernent par exemple la sédentarité, les régimes alimentaires ou les échanges de techniques entre chasseurs et agriculteurs.


L’homme de la Préhistoire s’est déplacé sur des territoires qui nous sont familiers, ses restes gisent sous nos pieds. Gare cependant à l’impression de proximité ou au « bon sens » de nos hypothèses, qui biaisent notre perception. Nomade, chasseur, cueilleur, à la fois immergé dans des forêts primaires et ouverts aux changements techniques venus de toute l’Europe, pratiquant semble-t-il l’infanticide voire le cannibalisme, formidable connaisseur des potentiels naturels, enterrant ses morts dans les ordures mais avec munificence, l’homme du Mésolithique est un autre. La dégradation de la matière efface progressivement les traces de ces mondes à la fois exotiques et familiers ; notre travail est de saisir au vol ces bribes d’informations. Cette mémoire sans cesse reconstruite éclaire les phénomènes actuels en les plaçant dans une profonde perspective, que ce soit le très médiatique réchauffement climatique ou la disparition des mondes paysans traditionnels, plus sourde mais tout aussi inéluctable.