Le corpus comprend 22 sites, mais leurs degrés divers de conservation et de fouilles imposent l’usage d’une large gamme d’analyse, de la compréhension systémique de la production à un simple inventaire typologique. Le souci principal est de comprendre tous les biais des industries, avec une insistance particulière sur les liens entre terrain et collection archéologique. Les études lithiques doivent s’adapter au potentiel informatif du site : les ensembles de référence (Beg-er-Vil, la Gilardière pour le Mésolithique ; le Haut-Mée, Port-aux-ânes, la Bajoulière, les Ouchettes, pour le Néolithique) sont secondés par des ensembles d’appoint et les informations triées (sites « mélangés »). Afin de saisir l’intégralité du processus de néolithisation, l’étude a balayé un large spectre chronologique, incluant toute la phase à trapèzes (Mésolithique récent et final), le Néolithique ancien et le début du Néolithique moyen.



Une synthèse sur les méthodes de débitage du Mésolithique de l’ouest de la France est proposée. N’étant apparemment pas lié à un strict impératif technique ou écologique, le développement du phénomène des lames et lamelles larges dans les stades récents et finaux peut être qualifié de mode, véhiculée lors de déplacements de groupes ou des contacts de proche en proche. En effet dans les premières phases (Gildasien de l’embouchure de la Loire), l’adoption des nouvelles normes semble se faire suivant les méthodes en vigueur auparavant. Par la suite, au Mésolithique final, l’exploitation des volumes pour les séquences laminaires et lamellaires devient résolument frontale, avec diverses préparations du plan de frappe suivant les cultures, et l’usage de la percussion indirecte. En outre pour le Retzien (Mésolithique final du Centre-Ouest), un débitage d’éclats par des méthodes bifaciales se distingue, alors que d’ordinaire, les méthodes sont simplifiées à l’extrême, avec une prédétermination à court terme. Du point de vue de la typologie des armatures, il est possible de distinguer dans la moitié occidentale de la France trois grandes entités culturelles : le Tardenoisien du Bassin parisien, le groupe du Bassin aquitain et le groupe armoricain. Ce dernier se divise en deux branches au 6ème millénaire avant J.-C. : le Téviecien en Bretagne (sans armature à retouches inverses rasantes) et le Retzien en Pays-de-la-Loire. L’impact de la civilisation néolithique est fortement suspecté à cause de l’adoption de certains types d’outils allochtones dans les industries mésolithiques, et notamment dans le domaine des armes de jet. La grande diversité d’influences techniques perceptible dans la partie orientale de la péninsule armoricaine pourrait également être liée aux pressions directes et indirectes exercées par ces groupes néolithiques, avec des affirmations identitaires particulièrement marquées.

Au Néolithique, l’arrivée de nouveaux paradigmes, et de nouveaux groupes humains, changent l’organisation et les caractères des systèmes techniques. Pour le Néolithique ancien du sud de la Loire, l’étude circonstanciée, d’une part du phénomène de dispersion d’armatures évoluées néolithiques, d’autre part de l’assemblage Ouchettes - Bellefonds, permet de proposer une construction simple en deux parties pour l’industrie lithique. La diffusion des armatures symétriques (type Montclus/Jean-Cros et Bétey) des Pyrénées au Marais poitevin laisse supposer l’extension d’une vaste entité fortement liée au domaine méditerranéen. Le second ensemble, que l’on peut appréhender plus profondément grâce à des sites fouillés, apparaît comme nettement plus récent : débitage et outillage ont perdu l’essentiel de la spécificité du Néolithique ancien méditerranéen (hormis peut-être la prépondérance du groupe des bords abattus), pour s’engager dans les normes du Néolithique moyen II de l’ouest de la France. Il est daté du milieu du 5ème millénaire avant-J.-C.





Pour le nord de la Loire, l’habitat du Haut-Mée est une des manifestations d’un front de colonisation par implantation de pionniers, dont les racines les plus évidentes se trouvent en Normandie. Les éléments de datation absolue sont en nombre restreint, mais la céramique à décors plastiques, d’ailleurs proches de celle du niveau « Augy » de la Bajoulière, ainsi que les bracelets en schiste, placeraient l’occupation de cette station dans une phase récente du Villeneuve-Saint-Germain (VSG), dans la première moitié du 5ème millénaire avant J.-C. L’évolution technique ultérieure, lors du Néolithique moyen I et l’horizon Cerny, va vers une simplification des processus de fabrication.

Les cultures dites de transition sont examinées successivement : « Roucadourien » du sud du Massif central, ensembles mésolithiques à céramique de l’embouchure de la Loire, et stations néolithiques à microlithes de la vallée de la Loire. Dans tous les cas, les bases archéologiques des modèles sont fortement défaillantes et nous conduisent à rejeter totalement ces constructions.

Ce travail démontre l’existence d’une réelle césure entre les sphères culturelles mésolithiques et néolithiques, du seul point de vue des industries lithiques. Cependant, des passages ponctuels entre les deux mondes, lors de contacts, furent suffisamment longs pour s’inscrire durablement dans les systèmes techniques du Mésolithique (transformation de concepts d’outil). Ainsi, l’impact du Néolithique ancien d’obédience méditerranéenne est manifeste sur le Mésolithique final du Massif armoricain, davantage en Centre-Ouest atlantique (Retzien) qu’en Bretagne (Téviecien). L’identification d’os d’animaux domestiques sur les amas coquilliers bretons ne peut en revanche être retenue, au vu des preuves disponibles. Les traces de l’héritage mésolithique au sein des mondes néolithiques sont plus ténues, une fois écartées les pseudo-continuités (« Roucadourien »,...) ; peut-être faudra-t-il plutôt les chercher dans le domaine symbolique ? Un modèle de changement progressif est proposé qui prend en compte toutes les observations archéologiques actuelles. Il intègre l’hypothèse de groupes mésolithiques côtiers à organisation sociale complexe, avec de forts indices de sédentarité en Bretagne (structures pérennes, large spectre faunique), dont la mutation sous l’effet de la néolithisation et d’une compétition pour le prestige permet à terme l’émergence du phénomène mégalithique.


Publication dans : Marchand G., 1999 - La néolithisation de l’ouest de la France : caractérisation des industries lithiques. British Archaeological Reports. International Series 748., 487 p.