Délaissant quelques peu les axes de réflexion méditerranéen et centre-européen, nous avons cherché à comprendre les dynamiques sud-nord et le rôle de l’Atlantique dans ce processus, partant du principe que nous traitons d’hommes et de femmes, de mémoires, de techniques, de symboles, et non pas seulement de vastes mouvements de civilisation. De ce fait l’interrogation concernera d’abord des échelles individuelles : le territoire quotidien puis le territoire du groupe, les territoires économiques mais aussi les territoires symboliques, les territoires consommés mais aussi les territoires rêvés : la néolithisation est avant tout une négociation individuelle et sociétale.

 
De l’Ecosse au Portugal, la façade atlantique de l’Europe offre une grande diversité de paysages et ne peut donc pas être traitée comme un espace géographique homogène. Cependant, l’océan constitue une même toile de fond, ainsi qu’un trait d’union entre des territoires d’apparences dissemblables. Ces caractères, alliés à la grande distance qui sépare l’extrême ouest européen des foyers originels de diffusion du Néolithique, ont contribué à modeler des processus de néolithisation qui nous apparaissent d’ores et déjà d’autant plus complexes que les rythmes lents favorisent leur perception par l’archéologie. Ainsi, la coexistence d’économies de production et de prédation pendant plusieurs centaines d’années sur des territoires limitrophes est désormais attestée en divers points de la façade atlantique (Ecosse, Irlande, Belgique, Pays-Bas, Bretagne, Nord de l’Espagne, Sud du Portugal). Le fonctionnement de ces zones de contact reste néanmoins à comprendre, et au-delà, leur rôle dans les mutations qui affectent les sociétés en présence : il n’est pas interdit de penser que le développement des architectures monumentales au tout début du Néolithique moyen doit beaucoup aux rapports sociaux établis lors de la mise en place des économies agro-pastorales.

 
Venus du nord de l’Espagne à l’Ecosse, des chercheurs ont accepté de présenter leurs travaux au Musée Dobrée, à Nantes, le vendredi 26 et le samedi 27 avril 2002. L’objectif de cette réunion de la Société Préhistorique Française, ouverte à tous les intervenants pour peu qu’ils aient envoyé leur contribution à temps, était d’abord de présenter les données archéologiques disponibles, puis de rassembler des points de vue complémentaires (chercheurs septentrionaux et méridionaux, continentaux et insulaires, mésolithiciens et néolithiciens), afin de comprendre ce qui rapproche ou différencie chaque processus régional. Après une sélection par un comité de lecture constitué de chercheurs qui n’avaient pas communiqué lors de ces journées, dix-huit articles ont été réunis dans ces actes. Ils reflètent évidemment la diversité des approches nationales mais aussi la diversité des processus. Les contributions ont été regroupées en trois parties.

-Les modèles régionaux de néolithisation.

-Le rôle de l’Océan et des ressources marines à la fin du Mésolithique et au Néolithique, mais aussi le basculement vers les économies de production.

-Les contacts inter-culturels et l’émergence des identités atlantiques.

 
Notons d’abord que les principes diffusionnistes apparaissent en permanence en arrière plan dans les synthèses régionales, même si la plupart des intervenants ont plutôt orienté leurs travaux sur une approche globalisante des peuples autochtones, à visées systémiques : en Ecosse (Graeme Warren), en Belgique (Philippe Crombé, Yves Perdaen et Joris Sergant), en Bretagne (Grégor Marchand, Estelle Yven), dans le Centre-Ouest de la France (Luc Laporte), dans le Pays basque espagnol (Maria-José Irriarte, Josean Mujika et Andoni Tarriño) ou dans les Cantabres (Pablo Arias et Miguel A. Fano). Il est alors important de souligner l’approche originale d’Alison Sheridan, qui établi des liens entre le sud-ouest de l’Ecosse et la péninsule armoricaine, par delà la mer d’Irlande, dans la seconde moitié du V ème millénaire. De même, Peter Woodman et N. J. Milner vont chercher dans le Centre-Ouest de la France et en Bretagne l’éventuelle origine des bovins domestiques de Ferriter’s Cove, qui apparaissent en Irlande avant toute trace des cultures néolithiques. Disons le sans ambages : la recherche de liens directs entre des aires géographiques éloignées ne bénéficie pas d’un effet de mode comparable aux hypothèses d’évolutions sur place. Ces contacts au long cours sont évidemment difficiles à diagnostiquer et il convient de rester ouverts à ce type d’hypothèse.

 
Les connaissances sur les dernières économies de prédation a fait un grand bond en avant ces dernières années, avec l’apport de l’analyse isotopique des ossements (Rick Schulting, Pablo Arias et Miguel A. Fano), mais également les travaux sur la faune consommée (Catherine Dupont et Yves Gruet). En complément de ce regard tourné vers la mer, d’autres apportent une autre vision plus continentale, particulièrement ample, qui se fonde sur l’inventaire des semences agricoles connues de l’Ecosse au Portugal (Lydia Zapata et Leonor Penã Chocarro). Les travaux palynologiques de M. J. Iriarte montrent la présence de pollens de céréales dans un contexte qualifié de mésolithique ; elle en tire les conséquences et fait basculer le site de Herriko Bara dans le Néolithique. Ces résultats font échos à d’autres travaux dans l’ouest de la France. Il est évident que ces approches sont en toute logique au centre des discussions sur le début des économies agricoles, même si trop souvent des problèmes de méthode viennent atténuer certains résultats.


Les identités atlantiques ont été traitées ici uniquement par ce qu’elles devaient aux prémices de la période. Ecole française de technologie oblige, ces apports concernent les industries de pierre : ces approches restent encore rares dans l’Ouest et les articles présentés ouvrent de larges perspectives (Nicolas Fromont, Jean-Noël Guyodo, Yvan Pailler). Arrivent alors inévitablement les réflexions sur les architectures monumentales et les manifestations symboliques qui s’y attachent, avec trois contributions qui illustrent la vigueur de ces thèmes, que ce soit dans la réflexion sur les paysages (Vicky Cummings et Alasdair Whittle), dans l’analyse des « stratigraphies symboliques » (Emmanuel Mens) ou les substitutions de symboles (Anne Tresset).

 
De manière générale, il semble que les hypothèses purement « autochtonistes » n’aient plus cours sur cet espace géographique, tandis que la participation des peuples autochtones est encore mal appréciée. Elle reste pourtant au centre des débats, depuis que les archéologues ont cessé de se déclarer, ou néolithicien ou mésolithicien, ce qui avait pour effet premier d’interdire tout dialogue ! L’implantation territoriale de ces groupes de chasseurs-collecteurs-pêcheurs peut en revanche être mesurée sur de nombreux espaces géographiques. Sur l’exemple de l’Ertebølle du Danemark, les archéologues supposaient depuis longtemps que les ressources marines et estuariennes étaient fondamentales dans la pérennité des dernières économies de prédation. Les nouveaux travaux en Espagne, en Irlande ou en Bretagne permettent de l’argumenter, tout en cherchant d’autres marqueurs territoriaux, comme les économies d’acquisitions des matières taillables, ou encore cette bonne vieille typologie « d’entomologiste » qui a encore des choses à dire ! L’un des apports de cette réunion de la Société Préhistorique Française aura été de faire dialoguer isotopistes, faunistes, céramologues et lithiciens. Pas plus qu’ailleurs dans l’Europe de l’Holocène, la façade atlantique n’a été une « réserve mésolithique » ou un espace figé. Les contributions réunies ici mettent autant en avant le mode de vie de ces groupes de prédateurs et de producteurs que les grands mouvements de civilisation qui les ont affectés. Souhaitons que les nombreuses pistes ouvertes lors de ces deux journées aient des prolongements.




Sommaire des actes du colloque (paru en 2005)

Commande à réaliser à la Société Préhistorique Française (SPF  -  voir lien dans ce blog)

 

Accueil
Jacques Santrot

Introduction : Unité et diversité des processus de néolithisation sur la façade atlantique de l’Europe (6e-4e millénaires av. J.-C.).
Grégor Marchand et Anne Tresset

Autres temps, autres lieux : la fin du Mésolithique et le début du Néolithique dans l’Est de l’Écosse
Graeme Warren

Les éléments d’une origine bretonne autour de 4000 Av. J.-C. En Écosse : témoignages d’alliance, d’influence, de déplacement ou quoi d’autre ?
Alison Sheridan

Combler les lacunes…L’événement le plus étudié, le mieux daté et le moins compris du Flandrien .
N.J. Milner et P.C. Woodman

La néolithisation de la Belgique: quelques réflexions.
Philippe Crombé, Yves Perdaen et Joris Sergant

Le Mésolithique final en Bretagne : une combinaison des faits archéologiques
Grégor Marchand

Le fonctionnement interne des territoires au Mésolithique. Approche spatiale de la néolithisation.
Estelle Yven

Néolithisations de la façade atlantique du Centre-Ouest et de l’Ouest de la France
Luc Laporte

Herriko Barra (Zarautz, Gipuzkoa) : caractérisation industrielle et économique des premiers groupes de producteurs sur le littoral basque.
Maria-José Irriarte, Josean Mujika, Andoni Tarriño

Malacofaune et crustacés marins des amas coquilliers mésolithiques de Beg-an-Dorchenn  (Plomeur, Finistère) et de Beg-er-Vil (Quiberon, Morbihan)
Catherine Dupont et Yves Gruet

Comme la mer qui se retire : les changements dans l’exploitation des ressources marines du Mésolithique au Néolithique en Bretagne.
Rick Schulting

Le rôle des ressources marines dans le Mésolithique de la région Cantabrique (Espagne) : l’apport des isotopes stables
Pablo Arias et Miguel A. Fano

L’agriculture néolithique de la façade atlantique européenne.
Lydia Zapata et Leonor Penã Chocarro

Les anneaux en pierre dans le Nord de la France et la Belgique au Néolithique ancien : structuration des productions et circulation des matières premières.
Nicolas Fromont

Les assemblages lithiques de la fin du Néolithique ancien et du Néolithique moyen sur le Massif armoricain et ses marges
Jean-Noël Guyodo

Le sciage de la fibrolite en Armorique : approche technique, implications culturelles et symboliques.
Yvan Pailler

Pentre Ifan: east or west? The origins of monumentality in Wales and western Britain.
Vicki Cummings and Alasdair Whittle

Etude technologique des gravures néolithiques armoricaines : l’exemple d’une crosse transformée en hache à Dissignac (Saint-Nazaire, Loire-Atlantique).
Emmanuel Mens

La place changeante des bovins dans les bestiaires du Mésolithique final et du Néolithique du Nord-Ouest européen.
Anne Tresset