Les historiens, les archéologues, les géomorphologues, les paléoenvironnementalistes, les anthropologues, les géographes œuvrent sur la compréhension des espaces dans lesquels nous nous déplaçons. Ils tissent les fils qui nous relient à nos ancêtres et notre espace quotidien. Ils nous permettent de prendre des décisions claires et argumentées. Ils nous laissent rêver aussi. Ils font également une recherche appliquée, mais sans brevet. Nous travaillons pour la plus importante industrie de la planète, celle qui génère des profits colossaux largement redistribués dans la population, celle qui assure un développement exceptionnel de certaines régions du monde : le tourisme. La vallée du Nil, le Yucatan ou la Bretagne ne seraient pas des destinations de voyage privilégiées, si des milliers de chercheurs n’avaient pas patiemment tissé une série de représentations mentales valorisantes.

Les bouleversements actuels du monde de la recherche ne sont aucunement liés à une rationalisation dans les organigrammes administratifs, ni dans l’usage des moyens qui nous sont dévolus. D’ailleurs, personne n’a jamais abordé ces questions et personne n’a même jamais imaginé de demander à l’archéologue de base s’il connaissait quelques problèmes pour organiser ses fouilles ou pour monter un programme de recherche… Non vraiment personne. Il est simplement question d’appliquer au monde une vision étriquée et franchement pathétique de la connaissance.

Les atermoiements dans la création d’un institut dédié aux Sciences Humaines et Sociales sont en premier lieu une mesure humiliante, destinée comme d’habitude à attendrir l’adversaire avant de lui proposer une solution misérable dont il saura se satisfaire. L’écartèlement du CNRS et des autres organismes de recherche permettra de fractionner ce corps de chercheur, sans proposer de nouvelle organisation des universités et des enseignements. Il y a une confusion totale entre la compétition scientifique – souvent âpre mais dont nous acceptons les règles – et la compétition économique. Notons que cette compétition totale et floue n’est valorisée par ces décideurs que parce qu’ils tiennent le manche de la pioche depuis leur naissance et par privilège de classe…

Le problème qui se pose à ces hommes politiques n’est pas de rendre la recherche française plus attractive ou plus compétitive. Il est de se débarrasser de gens que l’on perçoit comme archaïques, car ils n’ont pas de place dans l’univers dans lequel ces grands prédateurs évoluent. On perçoit évidemment sans peine l’idéologie mortifère qui règne dans les cénacles ministériels, une idéologie portée par une classe sociale bien particulière. Ne nous laissons submerger par ces images étriquées. Neuilly-sur-Seine ne représentera jamais une France miniature. Il est désormais l’heure d’affirmer notre fierté d’être des chercheurs. Quand en repliant avec enthousiasme son Figaro Magazine, l’homme politique décide de « faire le Mexique » ou de « faire l’Egypte », il devrait peut-être se demander pourquoi.

Le 11 juin 2008